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Sri Lanka, textes anciens/1L'île de Sri Lanka dans les textes anciens : mentions, descriptions, récits de voyages

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Une trilogie vous présente l’île de Sri Lanka, vue sous trois angles différents.

Elle comprend trois articles :

1) L’île de Sri Lanka dans les textes anciens : mentions, descriptions, récits de voyages

2) Aperçu historique du Sri Lanka, de la Préhistoire à l’Indépendance

3) Le Triangle culturel du Sri Lanka et quelques autres sites intéressants : aperçu architectural et artistique

A eux trois, ces articles donnent une idée du passé de cette île exceptionnelle et peuvent permettre de mieux comprendre son présent.


1. L’Île de Sri Lanka dans les textes anciens : mentions, descriptions, récits de voyages

Le présent essai recense les principaux auteurs mentionnant ou décrivant l’île de Sri Lanka, ainsi que leurs ouvrages, depuis l’Antiquité jusqu’au début du XVIe siècle.

La période coloniale (XVI-XXe s.), qui a laissé de nombreuses descriptions de l’île, et les comptes-rendus du grand nombre de voyageurs et scientifiques européens qui, dès le XIXe s., ont accompagné des voyages officiels ou semi-officiels au Sri Lanka, ou ont exploré l’île pour en étudier la population et la géographie, sortent du cadre de cet article.

Introduction

A travers les siècles, l’île de Sri Lanka a connu une transformation impressionnante, aussi bien dans son statut d’Etat insulaire et dans ses paysages, leur mise en valeur et leur utilisation économique, que dans sa composition ethnique, sociale et religieuse.

Nous pouvons nous faire une bonne idée de l’île et de son devenir grâce aux nombreuses mentions, descriptions et récits de voyages, depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque coloniale (dès le XVIe s.) et au-delà.

Le nom de l’île, tel qu’il apparaît dans les textes, a changé à travers le temps : il semble qu’anciennement, l’île ait été appelée Ratnadvipa, « Île aux pierres précieuses », alors que les historiens arabes du IXe s. l’appelaient Jazirat al yakut, « L’île aux rubis », ce qui, en chinois, a donné Ya-ku-pao-shih. Les textes en tamoul ancien appellent l’île Ilam. Elle était désignée en pali comme Lanka ou « Etang des fleurs de lotus rouges », Tambapanni ou « Pays cuivré » et Simhaladvipa ou « Île au lion ». Les Grecs et Romains transformèrent Tambapanni en Taprobane, les Arabes Simhaladvipa en Sarandib, Marco Polo l’a appelée Seilla, les Portugais Zeilao, les Néerlandais Ceylan, les Britanniques et Allemands Ceylon. C’est après l’indépendance en 1948, que l’île reprit le nom ancien de Lanka en lui adjoignant Sri ou royal. Sri Lanka signifie donc Lanka royal.

Les textes et leurs auteurs : Antiquité

Strabon d’Amasée (58 av.JC – mort entre 21 et 25 ap.JC). Géographe grec d’Asie Mineure, il fit ses études auprès d’Aristodème de Nysa, séjourna à Rome et voyagea en Egypte, le long du Nil, avec le préfet romain Aelius Gallus. Auteur d’une « Histoire » en 43 volumes (perdus), il écrivit aussi une « Géographie » en 17 volumes, destinée à un large public. Une traduction de la « Géographie » fut faite au XVe s. par un humaniste et philosophe italien, Guarino da Verona.

Dans les livres XV et XVI sur l’Orient, Strabon donne une description de l’île de Taprobane, sans cependant y avoir voyagé. Il cite d’autres géographes et historiens grecs : « Sous le nom de Taprobane, on désigne une île de la haute mer, située à sept journées de navigation au Sud du point méridional de l’Inde, et s’étendant en longueur l’espace de 5000 stades environ dans la direction de l’Ethiopie. On assure que, comme l’Inde, elle nourrit des éléphants. Telles sont les notions positives qu’Eratosthène nous fournit sur l’Inde. Voici ce qu’Onésicrite nous apprend au sujet de Taprobane. Elle est l’île la plus avancée au midi, dans ses eaux il y a un grand nombre de cétacés amphibiens qui ressemblent ou à des boeufs, ou à des chevaux, voire à d’autres animaux terrestres. »

Extrait résumé de « Géographie de Strabon, trad. d’Amédée Tardieu, Paris, 1867, Hachette »

Strabon cite et reprend nommément Eratosthène ( 276 av.JC à Cyrène – 194 av.JC à Alexandrie d’Egypte), astronome, géographe, philosophe et mathématicien grec d’Afrique du Nord, dont les écrits portent sur les conquêtes d’Alexandre le Grand, la géographie et la mesure de la terre, et Onésicrite (fin du IVe s. av.JC), historien et philosophe grec, disciple de Diogène et contemporain d’Alexandre le Grand, aux expéditions duquel il prit partie. Son oeuvre, « Alexandropédie « , contient une description de l’Inde.

Il convient de mentionner aussi Mégasthène (340 av.JC – 282 av.JC), diplomate, historien et géographe grec. En 303, Séleucos 1er, fondateur d’une dynastie et d’un Etat grec en Inde, le nomma ambassadeur auprès du roi indien Chandragupta Maurya. Son ouvrage « Indika », dont on ne connaît que quelques passages, constitue une source importante pour la connaissance du monde indien de l’Antiquité. Mégasthène y mentionne l’île de Taprobane, décrit les pratiques religieuses de ses habitants et fait état de leur système de castes.

Ces mêmes auteurs anciens sont cités par Pline l’Ancien, qui ajoute cependant d’autres informations, de son époque, sur le Sri Lanka.

Pline l’Ancien (23 ap.JC  à Côme, 79 ap.JC à Stabie, lors de l’éruption du Vésuve). Ecrivain et naturaliste romain, il nous a laissé une « Histoire naturelle » où le Sri Lanka est mentionné au livre VI, chap. XXIV : « Taprobane a été longtemps regardée comme un autre monde, sous le nom de terre des Antichthones. Au siècle IV et aux expéditions d’Alexandre le Grand, on doit savoir qu’elle est une île. Onésicrite et Mégasthène ont écrit à propos d’elle et Erastothène a même donné la mesure de cette île.

On a appris de nouvelles choses plus tard. Sous le règne de l’empereur Claude (41 à 54 après JC), des ambassadeurs sont venus de cette île à Rome. Un affranchi d’Annius Plocanus avait été emporté par les vents et les courants marins jusqu’à Taprobane, où le roi l’avait bien accueilli et où il avait rapidement appris la langue du pays, pouvant ainsi donner au roi des renseignements sur les Romains et l’empereur. Impressionné, le roi envoya quatre ambassadeurs à Rome, sous la direction de Rachias. On apprit d’eux que l’île avait 500 villes, un port au Sud, près de la ville royale de Palaesimundum avec ses 200’000 habitants, et un grand lac situé à l’intérieur des terres appelé Mégisba. Ses habitants pratiquent le commerce. Taprobane possède aussi nos propre vices, l’or et l’argent y sont aussi en estime, les pierres précieuses et les perles y sont à haut prix. Il n’y a pas d’esclaves, les édifices y sont peu élévés, il n’y a ni tribunaux ni procès, on y adore Hercule, on y chasse le tigre et l’éléphant, les champs y sont soigneusement cultivés, les fruits abondants, on y pratique la pêche, notamment à la tortue, une vie de cent ans y est ordinaire. »

Extrait résumé de « Histoire naturelle, trad. Emile Littré, Paris, 1844-57, Dubochet. »

Ptolémée  (90 ap.JC à Ptolémaïs, 168 ap.JC à Canope). Astronome et astrologue grec d’Egypte, il est à lui tout seul une véritable somme des connaissances de la science antique, transmise à l’Occident par les Arabes et les Byzantins. Parmi ses oeuvres se trouve une « Géographie », écrite en 150, qui est une compilation des connaissances géographiques de son époque. Auteur d’une carte du monde, Ptolémée y mentionne 8000 villes auxquelles il attribue des coordonnées; il présente les régions habitées du globe (l’écoumène) du Cap-Vert, à l’Ouest, à la péninsule indochinoise, à l’Est. L’île de Taprobane, dont la taille est toutefois fortement disproportionnée par rapport à l’Inde, figure sur cette carte.

Fa Hsien (337-422 ap.JC). Moine bouddhiste chinois, il est l’un des premiers voyageurs ayant visité personnellement l’île. Après un pèlerinage en Inde entre 399 et 414, pour y visiter les hauts-lieux de la vie du Bouddha, il nous a laissé l’une des premières descriptions du sous-continent. Débarqué au Sri Lanka au début de 400, il transcrit tous les livres sacrés bouddhistes inconnus en Chine, assiste à la Fête de la Perahera de Kandy, en l’honneur de la dent sacrée du Bouddha conservée dans le temple principal de la ville, et témoigne de la présence dans l’île de commerçants grecs, persans et arabes.

Un autre moine bouddhiste chinois, Hsuan Tsang (602-664 ap.JC), grand traducteur, lui aussi, d’oeuvres bouddhiques en chinois, entreprit également un pèlerinage de 16 ans en Inde pour aller aux sources du bouddhisme. Il aurait voulu se rendre au Sri Lanka, mais en fut dissuadé par des moines cinghalais en fuite à cause d’une guerre civile dans l’île. Dans ses écrits il relate, à propos de Sri Lanka, qu’à Anarajapura (Anuradhapura), sur la pointe d’une spirale au-dessus d’un temple, se trouve un très grand rubis qui éclaire le ciel tout entier.

Cosmas Indicopleustès, marchand, voyageur, géographe grec du VIe s., est l’auteur d’une carte du monde qui présente le globe – dont la sphéricité était pourtant déjà connue – comme ayant une forme plate. Les observations et réflexions faites lors de ses nombreux voyages sont consignées dans sa « Topographie chrétienne », qui relate aussi les relations commerciales entre le monde Méditerranéen et l’Orient. Dans ses descriptions de la flore et de la faune de l’Inde et de Sri Lanka, qu’il a vraisemblablement visitées, il est le premier auteur occidental à donner des indications sur le poivrier et sa culture.

Voici ce qu’il nous dit de Sri Lanka dans le chapitre « Une description d’animaux indiens et de l’île de Taprobane » : « C’est une grande île océanique située dans l’Océan indien. Les Indiens l’appellent Sielediba, mais les Grecs, Taprobane et on y trouve la pierre d’hyacinthe. Elle est située de l’autre côté du pays du poivre et elle est entourée de nombreuses petites îles, toutes pourvues en eau douce et en cocotiers. Il y a deux rois dans l’île, dont l’un est propriétaire du pays des pierres précieuses, l’autre du reste du pays, où se trouvent le port et le centre du commerce. C’est un grand marché pour les populations de ces contrées. L’île abrite aussi des chrétiens persans, mais les indigènes et leurs rois sont païens. Sur l’île, ils ont de nombreux temples et dans l’un d’eux, qui se trouve sur une éminence, il y a une grande pierre d’hyacinthe d’un rouge flamboyant, qui brille au loin. Du fait de sa position centrale, l’île est beaucoup fréquentée par des bateaux de toutes les parties de l’Inde, de Perse et d’Ethiopie et l’île elle-même arme de nombreux vaisseaux. Et depuis les pays les plus lointains, l’île reçoit de la soie, du bois d’aloès, des clous de girofle, du bois de santal et d’autres produits, qui sont aussi envoyés sur les marchés de ce côté-ci, comme Malé, le Sindh, la Perse et autres. Et l’île reçoit des importations de tous ces marchés et les transmet à des ports plus reculés, tout en exportant en même temps ses propres produits dans les deux directions. Cette île de Sielediba, placée au centre des Indes et possédant la pierre d’hyacinthe, reçoit les importations de tous les lieux de commerce et à son tour exporte vers ceux-ci, ce qui en fait un grand site marchand. »

Extrait résumé de « Topographie chrétienne, trad. en anglais par Tertullian project », trad. de l’anglais par CN

Moyen-Âge et Renaissance

Muhammad al Biruni (973 ap.JC à Kwarezm/Ouzbékistan, mort à Ghazni/Afghanistan entre 1048 et 1050). Savant d’Asie centrale, astronome, il a donné son nom à un cratère de la face cachée de la Lune. En l’an mil, il décrit la rotation de la Terre autour de son axe et autour du Soleil. Il a voyagé en Inde à la suite d’un seigneur conquérant et, dans son oeuvre « Le livre de l’Inde », il a laissé une bonne description du sous-continent, où il mentionne aussi le Sri Lanka.

Zakariya al Qazwini (1203 ap.JC à Qazvin/Iran, mort en 1283). Médecin, astronome, géographe et écrivain iranien, dans son oeuvre « Les Merveilles de la Création », qui décrit le monde terrestre, il mentionne le bois de sapan et le cannelier de Sri Lanka.

Giovanni da Montecorvino (1247 ap.JC à Montecorvino/Italie, mort en 1328 à Pekin). Missionnaire franciscain et archevèque napolitain, fondateur de la mission catholique en Chine. En 1291, il voyagea en Inde, d’où il écrivit une lettre mentionnant le cannelier de Sri Lanka.

Abu Abdallah ibn Battuta (1304 ap.JC à Tanger/Maroc, mort à Marrakech/Maroc en 1369). Voyageur, explorateur marocain d’origine berbère, après un pèlerinage à La Mecque, il entreprit un long voyage qui le mèna au Moyen-Orient, en Mésopotamie, Iran, Afrique Orientale, Arabie, Anatolie, Asie Centrale, Inde, aux Maldives et au Sri-Lanka, à Sumatra, en Chine, en Andalousie et au Mali.

En 1340, au Sri Lanka, qu’il appelle Sarandib, il fit un pèlerinage au Pic d’Adam qui, avec ses 2243 m, est l’une des plus hautes cimes de l’île. Pour les musulmans comme pour les chrétiens, ce pic est un lieu sacré du fait de la présence de l’empreinte du pied d’Adam ou de St. Thomas. Ibn Battuta visita les villes de Botthalah (Puttalam), Conacar (Kurunegala), Dinewer (Dondra), où se trouvait un temple de Vishnu détruit par les Portugais en 1587, de Kali (Galle) et de Calenbou (Colombo), où il rencontra des musulmans pratiquant l’exportation de la cannelle.

Dans son oeuvre : « Voyages », Ibn Battuta, parti des îles Maldives en bateau, écrit : « Nous voguames pendant 9 jours et le neuvième, nous débarquâmes à l’île de Ceylon. Nous aperçûmes au loin la montagne de Sarandib. Je fus conduit à la cour de Botthalah1, où je rencontrai le souverain, par lequel je fus bien reçu et qui me fit cadeau de perles. La ville est petite et entourée d’une muraille et de bastions en bois. Tout le littoral voisin est couvert de troncs de canneliers. On trouve dans l’île beaucoup de bois de sapan et d’aloès. Je visitai la ville de Conacar, où réside le principal souverain de l’île, qui possède un éléphant blanc. On rencontre des gemmes partout et la terre appartient à des individus qui creusent afin d’en trouver. Ils rencontrent des pierres et c’est à l’intérieur de celles-ci qu’est cachée la gemme, que le propriétaire remet à des lapidaires pour la mettre en valeur. Les femmes de l’île possèdent des colliers de pierres précieuses, les concubines du roi en font des parements, l’éléphant blanc en porte sur son front et le bol dont le roi se sert en est couvert. Il y a beaucoup de singes dans les montagnes, qui obéissent à un chef. La montagne de Sarandib est couverte d’arbres et de fleurs. Deux chemins, celui du Père (Adam) et celui de la Mère (Eve) conduisent au Pied d’Adam. Les Anciens ont taillé dans le roc des degrés à l’aide desquels on monte; il y a aussi des pieux de fer et des chaînes afin que les grimpeurs puissent s’y attacher. La marque du Pied se voit dans la roche; les pèlerins idolâtres2 y déposent de l’or, des pierres précieuses et des perles. »

Extrait résumé de « Voyages, Inde, Extrême-Orient, Espagne, Soudan, t. III, trad. de l’arabe par C. Defrennery et B.R. Sanguinetti, 1885 »

Marco Polo (1254 ap.JC  à Venise, mort à Venise en 1324), marchand et voyageur vénitien. Avec son père Niccolò et son oncle Matteo, il entra au service du Grand Khan de Mongolie, Kubilaï, et partit en 1274 pour la Chine, où il resta 17 ans. En 1295, de retour en Italie, il fut capturé et emprisonné par les Gênois lors de la bataille de la Meloria contre les Vénitiens. Dans sa prison, il dicta le récit de ses voyages à un autre prisonnier, le Pisan Rustichello da Pisa, que ce dernier transcrivit en un mélange de langue d’oc et de pisan. Publié sous le titre de « Le divisament dou monde », le livre fut appelé par la suite « Le Livre des merveilles » ou « Le Million ». Marco Polo visita entre autres le Sri Lanka, qu’il appela « l’isola di Seilla »; il connaissait le Pic d’Adam et les facilité aménagées pour y monter (via ferrata).

Ses impressions sont relatées au chap. 169 du Million : « Lorsqu’on part de l’île d’Angaman (Andaman) et l’on va 1000 milles en direction du Sud-Ouest, on arrive à l’île de Seilla (Ceylon), qui est la plus grande île du monde. Cette île a un roi qui s’appelle Sedemain, ils sont idolâtres et ne paient de tribut à personne. Ils vont tout nus, mais ils se couvrent les flancs. Ils n’ont pas de froment, mais du riz et du sésame dont ils font de l’huile, et ils vivent de riz, de lait et de viande; ils font du vin à partir des arbres dont j’ai parlé plus haut3. Ils ont le meilleur bois de sapan du monde. Dans cette île on trouve des rubis et dans aucune partie du monde il n’y en a autant; et il y a des saphirs, des topazes et des améthystes et quelques autres pierres précieuses. Et je vous dis aussi que le roi de cette île a le plus beau et gros rubis du monde, de couleur vermeille comme le feu, d’une telle valeur que l’on ne pourrait pas l’acheter. S’ils ont besoin de soldats, ils font appel à des gens d’autres contrées, surtout des Sarrasins. »

Extrait résumé de « Le Million, 1298 », trad. de l’italien ancien par CN

Hayton de Corycos, moine et historien arménien, écrivit en 1307, en occitan, son oeuvre « La flor des Estories d’Orient », livre très répandu pendant tout le Haut Moyen-Age, qui avec « Le Million » de Marco Polo et les écrits de Frère Odorico da Pordenone, a beaucoup contribué à façonner la vision que les Européens avaient de l’Orient. Son livre contient une illustration de « l’arbre à lait de Ceylon »4; il avait eu connaissance de la richesse de l’île en pierres précieuses et nous dit à ce sujet : « Le roi de cette île de Celan avait le rubis le plus gros et le plus fin qui existe. Lors de son couronnement, le rubis était placé dans sa main et il avait fait le tour de la ville à cheval en le tenant dans sa main et de ce fait tous le reconnaissaient et lui obéissaient en tant que leur souverain. »

Odorico da Pordenone, (1265 à Villanova, mort à Udine en 1331). Moine et missionnaire franciscain vénitien, il entreprit vers 1318 un long voyage en Orient. Il fut le premier Européen qui visita la ville de Lhasa, au Tibet. Il passa aussi par le Sri Lanka où il eût connaissance de l’histoire du gros rubis en possession du roi. Odorico da Pordenone précise que le Grand Khan avait voulu acheter cette pierre au roi de Sri Lanka, en vain.

Jordan Catalani, frère dominicain occitan, né à Séverac/Toulouse. Envoyé en Orient en tant que missionnaire, en Inde il échappa de peu au martyre; en 1328, il fut nommé évêque de Kollam, au Kerala, par le pape Jean XXII, avec juridiction sur l’Inde et les pays environnants, y compris le Sri Lanka. Dans son oeuvre « Mirabilia », Jordan Catalani parle de deux grands rubis appartenant au roi de Sylen (Sri Lanka), si volumineux qu’ils tenaient à peine dans une main.

Nicolò de Conti (1395 ap.JC  à Chioggia, mort à Venise en 1469). Commerçant et voyageur vénitien, il est le premier européen à avoir visité la Thaïlande5 entre 1425 et 1433, lors d’un voyage en Asie du Sud-Est et en Inde. Nicolo’ de’ Conti visita aussi le Sri Lanka; dans son oeuvre « Le voyage aux Indes », il fait la description de la « très noble île appelée Zeilan« , riche en pierres précieuses. Il décrit le cannelier de façon détaillée : « Ici la cannelle pousse en abondance. Il s’agit d’un arbre qui ressemble beaucoup à nos gros saules, sauf que ses branches ne poussent pas vers le haut, mais partent horizontalement. Ses feuilles sont très semblables à celles du laurier, mais sont un peu plus grandes. L’écorce de ses branches est la plus fine et la meilleure, celle du tronc de l’arbre est plus épaisse et inférieure en parfum. Le fruit du cannelier ressemble aux fruits du laurier; on en extrait une huile odorante qu’on utilise pour les baumes, très appréciés des Indiens. Lorsqu’il a été privé de son écorce, le bois est utilisé comme combustible. »

Extrait de « Le voyage aux Indes, trad. anglaise », trad. de l’anglais par CN.

Nicolo’ de Conti signale aussi un lac-réservoir nommé Megisba, faisant partie du système hydraulique de l’île (cf. Pline l’Ancien), qui pourrait se trouver à Anuradhapura ou Polonnaruwa. Son livre est l’un des meilleurs comptes-rendus sur l’Asie du Sud-Est fait par un Européen du XVe s. Il doit son existence à une pénitence infligée à Nicolò dè Conti par son compatriote, le pape Eugène IV, pour s’être converti à l’islam lors de ses voyages en Orient : sommé d’écrire un livre sur ses expériences à l’étranger, l’auteur dicta son texte à l’humaniste Poggio Bracciolini, qui le mit en forme en français.

Zheng He (1371 ap.JC dans le Yunnan, mort en 1433), explorateur et amiral chinois musulman. Entre 1405 et 1433 il entreprit, pour le compte des empereurs Yong Le et Xuan De, sept expéditions lointaines qui le menèrent jusqu’en Afrique. Lors de six de ces expéditions, il débarqua à Sri Lanka et, entre 1407 et 1411, deux fois au Siam. Son compagnon de voyage, Ma Huan, voyageur et interprète chinois musulman, nota avec précision des renseignements sur les peuples et les pays visités, les consignant dans un livre, « L’étude globale des Rives de l’Océan ». Ecrit en 1451, cet ouvrage décrit son arrivée à Hsin-lan chan (Ceylon), en 1432, dans la ville de Beruwala : « Le peuple a tout ce qu’il faut pour vivre. Ils ne mangent que du beurre et du lait. Ils vont tout nus, sauf un tissu vert qu’ils portent autour des flancs, attaché avec une ceinture. Leurs corps sont parfaitement rasés à l’exception des cheveux. Ils n’arrêtent pas de mâcher du bétel. Ils n’ont pas de froment, mais du riz, du sésame et des pois. La noix de coco, très abondante, leur fournit de l’huile, du vin, du sucre et de la nourriture. »

Extrait résumé, traduit de l’anglais par CN.

Ludovico di Varthema (Bologne/Italie 1470 – 1517), écrivain et voyageur émilien, premier Européen à visiter La Mecque, il fit un long périple au Moyen-Orient, en Arabie, Afrique et Asie, et visita aussi l’Inde et le Sri Lanka. Son livre, « Itinerario », publié à Rome en 1510, fut traduit en 50 langues.

Andrea Corsali (1487–?), explorateur toscan au service de la Maison des Medici. Il voyagea en Asie à bord d’un bateau marchand portugais et envoya à ses employeurs des lettres de voyage, avec des récits sur les peuples et pays rencontrés en route. Deux lettres de Corsali furent publiées à Florence en 1518, de même que dans le livre de Giovanni Battista Ramusio, « Delle navigationi et viaggi » (Venise, 1550), et dans les récits de voyages d’autres explorateurs italiens, tel Giovanni da Empoli (1483-1518). Le premier, Corsali fit remarquer que le Sri-Lanka et Sumatra étaient deux îles distinctes et qu’il convenait de ne pas appeler la seconde Taprobane, comme de nombreux explorateurs l’avaient fait avant lui. Il identifia également la Nouvelle-Guinée et fit état de l’existence de l’Australie, encore inconnue des Européens.

Dans sa lettre de 1515, en parlant du Sri Lanka, il nous raconte : « On dit que le roi de cette île possède deux rubis, dont la couleur est si brillante et vive qu’ils ressemblent à une flamme. »

Conclusion

Le grand nombre de voyageurs et savants qui s’y sont intéressés et les nombreux textes qu’ils ont laissés, nous prouvent que depuis l’Antiquité et pendant tout le Moyen-Âge et la Renaissance, l’île de Sri Lanka était bien connue des voyageurs et chroniqueurs; cela vaut pour le monde Méditerranéen, le monde Arabo-Persan et la Chine, sans compter la région comprise entre l’Océan Indien et l’Asie du Sud-Est, avec laquelle l’Île entretenait depuis toujours d’étroits contacts à la fois commerciaux, religieux, politiques et culturels.

On constate que les premiers récits sur le Sri Lanka se basent sur le oui-dire et que ce n’est qu’avec l’arrivée à Sri Lanka de Fa Hsien que débute la relation de faits directement observés. Les renseignements de seconde main que nous donnent les auteurs de l’Antiquité sont dus aux commerçants grecs, arabes et persans présents en Asie et dans l’île, ainsi qu’aux Grecs partis en Asie avec Alexandre.

On relève aussi ce qui faisait l’intérêt de l’île de Sri Lanka pour ceux qui l’ont mentionnée, visitée et décrite. Le thème le plus récurrent est celui des pierres précieuses, présentes en quantité, et des légendes qui s’y rattachent, tels les rubis exceptionnellement grands dont les rois de Sri Lanka étaient les propriétaires.

Autre thème fréquent, les arbres et plantes exotiques de l’île, en premier lieu le cannelier et la cannelle, le poivrier et le poivre, les bois de sapan et d’aloès, le cocotier nourricier.

C’est ainsi que, dans la vision que l’on se faisait de Sri Lanka en Occident, l’île est devenue la légendaire terre orientale des gemmes, des épices et des essences précieuses.

Les animaux mentionnés sont essentiellement l’éléphant et le tigre, ainsi que les singes, les cétacés et les tortues.

On notera également le fait que la population semblait bien vivre des nombreux produits du terroir, lait, beurre, fruits, riz, sésame, produits du cocotier, pêche, ce qui en aurait expliqué la longévité.

Certains auteurs relatèrent la présence, sur l’île, de deux populations d’origine différente, les Cinghalais et les Tamouls, et les faits politiques qui en furent la conséquence.

Parmi les lieux topographiques cités, on relève certaines villes, portuaires ou royales (p. ex. Puttalam et Anuradhapura), le Pic d’Adam, avec ses facilités d’escalade (gradins, pieux et chaînes métalliques, ancêtres des Via Ferrata d’aujourd’hui), lieu traditionnel de pèlerinages pluri-confessionnels.

Chez Pline l’Ancien il est fait mention d’un lac, prouvant par là que les voyageurs étaient sensibilisés au rôle, important pour l’agriculture et les rites, que jouait, au Sri Lanka, le système hydraulique ancien, basé sur d’ innombrables réservoirs et canaux.

Certaines particularités culturelles décrites renvoient à celles qui nous sont familières pour le Siam, l’Inde et la péninsule indochinoise, telles l’éléphant blanc, dont le roi est le propriétaire, la coutume de mâcher la noix de bétel et le système des castes.

C’est encore Pline qui fait état des relations diplomatiques que les rois de Sri Lanka auraient établies avec l’Empire romain au début de l’ère chrétienne, événement indirectement mentionné dans certains ouvrages d’histoire du Sri Lanka, au chapitre des relations anciennes du Sri Lanka avec le monde Méditerranéen.

Finalement, depuis l’Antiquité, le Sri Lanka, est connu pour être un important centre commercial, par où transitaient les produits de l’Orient et de l’Occident et d’où étaient exportés les produits de l’île.

A en juger par les formes d’exploitation mises en place dès leur arrivée, il n’est pas douteux que les futurs colonisateurs portugais, néerlandais et britanniques, originaires de nations marchandes, étaient bien renseignés sur le Sri Lanka et ses trésors, mais aussi sur ses problèmes de politique intérieure.


1 A cette époque, le Sri Lanka était divisé en deux royaumes : un royaume tamoul au Nord, en expansion vers le Sud et l’Ouest, et un royaume cinghalais au Centre de l’île

2 L’auteur entend par là les bouddhistes

3 Les cocotiers

4 L’auteur entend par là le cocotier

5 Il s’agit de Tenasserim, alors siamoise, actuellement située au Myanmar

Cosimo Nocera est historien et guide du Musée national de Bangkok. Il a vécu et travaillé en Italie, Suisse et en Amérique andine (Pérou, Equateur et Bolivie). Après un long séjour en Asie du Sud-Est, il vit actuellement en Suisse française.

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