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Friedrichstadt, les Pays-Bas en AllemagneUn lieu de tolérance religieuse

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Friedrichstadt, les Pays-Bas en Allemagne

Friedrichstadt, dans le Schleswig-Holstein (Allemagne du Nord), est une petite ville fondée en 1621.

A part le caractère néerlandais de son architecture, elle se distingue par deux autres particularités.

D’une part, les « Hausmarken » ou marques de façade; d’autre part, la présence d’un grand nombre de communautés religieuses très différentes les unes des autres.


La fondation de Friedrichstadt

La fondation de la ville en 1621 est due à l’initiative du marquis Friedrich III de Schleswig-Holstein-Gottorf. Il succéda à son père Johann Adolf à l’âge de 19 ans et manifesta rapidement son intérêt pour la musique, les arts et la science. Sa cour, au château de Gottorf près de Schleswig, devint alors un centre de vie culturelle très connu à la ronde.

Prévu entre deux cours d’eau se jetant dans la mer du Nord, l’Eider et son affluent, la Treene, le site de construction de la ville nouvelle de Friedrichstadt devait donner naissance à un port dont les les activités commerciales auraient permis au marquis Friedrich II de renflouer ses caisses, mises à mal par son grand train de vie.

La magnificence culturelle de la Cour engloutissait en effet d’importantes sommes d’argent; les taxes prélevées sur les paysans étant réglées en nature, seuls les impôts payés par la bourgeoisie urbaine apportaient de l’argent en espèces.

C’est ainsi que Friedrich III conçut l’idée de fonder une ville nouvelle reliée à la mer, à la fois dans l’idée de la peupler de futurs contribuables et pour éviter le coûteux transit des marchandises par le port de Hambourg, où les intermédiaires s’attribuaient d’importantes commissions, notamment sur les marchandises provenant d’outre-mer (épices, tissus et autres biens rares).

Les XVIe et XVIIe siècles étaient marqués par les guerres de religion. Les Néerlandais du Nord, convertis au protestantisme, luttaient pour leur indépendance contre l’Espagne qui, en 1555, avait reçu les Pays-Bas en héritage. En 1581, sept provinces septentrionales proclamèrent leur indépendance et formèrent la République des Provinces-Unies. Les Pays-Bas méridionaux (aujourd’hui le pays flamand de Belgique) restèrent, quant à eux, catholiques et espagnols. En 1648, l’indépendance des Provinces-Unies fut reconnue par le Traité de Westphalie.

Parmi les protestants néerlandais, des mouvements dissidents ne tardèrent pas à se former, notamment les Remonstrants de Jacobus Arminius qui s’opposaient à la doctrine dominante des Calvinistes. En 1618-19, les Remonstrants furent interdits de religion par le Synode de Dordrecht et beaucoup d’entre-eux choisirent alors l’exil.

Friedrich III eut l’idée de leur proposer de fonder une ville nouvelle sur ses terres et de s’y établir. Il n’était pas seul avec sa proposition: d’autres régents appréciaient l’expérience des Néerlandais dans la construction de digues et l’assèchement des marais, leurs connaissances de l’économie laitière et leurs talents de commerçants.

Pour rendre son offre plus attrayante, le marquis promit aux candidats à l’immigration l’exemption d’impôts, la mise à disposition de terrains à bâtir, le maintien de leurs lois et, surtout, la liberté de pratiquer leur religion.

Friedrichstadt n’était donc qu’une parmi les localités allemandes où des immigrés avaient été sollicités, mais ce n’est que dans les terres de Friedrich III que les migrants jouissaient d’autant d’avantages.

Un Néerlandais mennonite, Willem van der Hove, joua un rôle moteur dans le recrutement de ses compatriotes et la construction de la ville.

Le marquis mit à disposition des bâtisseurs une île, appelée Seebüll, qui s’était formée lorsqu’en 1570, le père du marquis, Johann Adolf, avait canalisé les eaux du fleuve Treene à son confluent avec l’Eider.

Le transport de marchandises se faisant essentiellement par voie fluviale, le port de Friedrichstadt, terminé en 1636, permettait le commerce avec le monde entier à travers le fleuve Eider qui se jetait dans la mer du Nord.

L’apogée de l’activité marchande de la ville fut atteint en 1784, lors de la mise en service du canal du Schleswig-Holstein, qui reliait l’Eider à la Baltique; toutefois, en 1895, la construction d’un canal reliant la mer du Nord et la Baltique, qui passait au Sud de Friedrichstadt, marqua le début de la décadence de la ville en tant que comptoir de transit.

La présence de canaux traversant la ville, le style architectural des maisons, leur aménagement intérieur et les nombreuses marques présentes sur leurs façades rappellent l’origine néerlandaise de Friedrichstadt. De nos jours encore, une partie du culte de la communauté des Remonstrants, toujours présente dans la ville, est dite en néerlandais et leurs pasteurs sont tous originaires des Pays-Bas.



Les marques de façades

Lors de la construction de leur ville au XVIe siècle, les fondateurs néerlandais firent venir la plupart des matériaux de construction de leur ancienne patrie. Ils n’oublièrent pas les gevelsteenen ou marques de façades, qui devaient faciliter l’identification des édifices; en l’absence d’une numérotation des maisons, les marques – écussons, animaux et autres symboles –  constituaient un signe de reconnaissance.

La marque la plus ancienne porte la date de 1622 et représente une colombe portant en son bec un rameau d’olivier; l’écusson d’Adolf van Waels et de son épouse Occa van den Klosters, sur la façade de l’Ancienne Monnaie, remonte également à l’époque de la fondation de Friedrichstadt.

En 1850, lors du bombardement de la ville par les troupes du Schleswig-Holstein, les propriétaires des maisons détruites réussirent à mettre en sécurité leurs marques pour ensuite les remettre sur les façades des édifices reconstruits après la guerre.

Depuis 1923 et surtout ces dernières décennies, divers propriétaires ont perpétué cette ancienne tradition en apposant sur les façades de leurs maisons rénovées ou les nouvelles constructions des marques de leur invention.



Les diverses communautés religieuses

La tolérance

La présence à Friedrichstadt de nombreuses communautés religieuses est due à la tolérance dont fit preuve le marquis Friedrich III, pendant une période de l’histoire européenne où l’intolérance religieuse était la règle et avait débouché sur une guerre longue et meurtrière. Depuis la défénestration de Prague en 1618, la Guerre dite de 30 ans avait éclaté entre Etats allemands catholiques et protestants, avec la participation d’autres puissances. Selon le principe cujus regio ejus religio, la foi du souverain s’imposait à ses sujets. La guerre avait pour but la victoire de la « vraie » religion et manifestait la lutte pour le pouvoir à laquelle s’adonnaient les principaux acteurs de l’histoire européenne.

Friedrich III constituait une exception à la règle car ce prince luthérien visionnaire pratiquait dans ses Etats la tolérance religieuse. Celle-ci n’était toutefois pas dénuée d’une arrière-pensée économique, le marquis souhaitant s’affranchir des contraintes grévant le commerce maritime de haute mer. Néanmoins, elle permit à de nombreuses communautés religieuses persécutées de trouver, dès 1621, un havre de paix dans la ville nouvelle de Friedrichstadt.

On a vu qu’aux Pays-Bas, les Remonstrants avaient été écartés du pouvoir par les Calvinistes et contraints à la fuite. Leurs chefs, entrés en contact avec des émissaires de Friedrich III, obtinrent l’autorisation de s’établir sur les terres du marquis et d’y fonder une ville selon le modèle néerlandais. Plus tard, la ville offrit l’ospitalité aux Mennonites, Catholiques, Sociniens, Juifs, Quaker, Séparatistes suédois, Mormons et Témoins de Jéhova, parfois même contre l’avis de la Cour.

La tolérance religieuse connut un point d’arrêt à partir de 1933, année de la montée au pouvoir des nationaux-socialistes. Notamment les Juifs et les Témoins de Jéhova furent persécutés, déportés et assassinés, leurs lieux de culte détruits.

De nos jours, Friedrichstadt est toujours habitée par plusieurs communautés religieuses, même si la plupart des citoyens sont Luthériens.

Les communautés religieuses

Ci-après, une brève présentation des communautés religieuses et de leurs relations avec Friedrichstadt :

Les Remonstrants

Après leur arrivée à Friedrichstadt et la construction de la ville selon le modèle néerlandais, en 1624 les Remonstrants se dotèrent d’une église, premier lieu de culte officiel que leur communauté eût le droit d’ériger. Jusqu’au XIXe s., le culte était célébré en néerlandais et les pasteurs venaient, dans la mesure du possible, des Pays-Bas. En 1854, l’église fut reconstruite en style néo-classique, après avoir été gravement endommagée en 1850 lors des bombardements des troupes du Schleswig-Holstein. Afin de ne pas détourner l’attention des fidèles du verbe, l’intérieur de l’église est d’une grande sobriété. Une inscription en néerlandais au-dessus de la porte d’entrée rappelle l’histoire de la communauté en résumé tout en évoquant l’esprit d’indépendance et la ténacité des fondateurs:

« Gebouwd in 1624; door de Stichters deezer Stad, Uitgewekenen uit Holland om de vrije Godsdienst Wille, genaamd Remonstranten, vernield door het Oorlugsvuur, 5. October 1850, hergebouwd 1854, God geve hier Vrede, Hem zij de Eer »

« Construite en 1624 par les fondateurs de cette ville, réfugiés de Hollande pour l’amour de la liberté de culte, appelés Remonstrants, détruite par un incendie de guerre le 5 octobre 1850, reconstruite en 1854, que Dieu nous donne la paix, qu’Il soit honoré »

De nos jours, les Remonstrants comptent environ 180 fidèles; une fois par mois, le culte est célébré par un pasteur des Pays-Bas, la Bénédiction et le Notre père étant toujours dits en néerlandais. Outre les Remonstrants, le cimetière de la communauté accueille aussi des défunts d’autres religions.

Les Luthériens

En Allemagne, les communautés luthériennes remontent au XVIe s., lorsque Martin Luther introduisit la Réforme protestante; une partie importante de l’Allemagne se convertit alors à la nouvelle foi,
Friedrich III et ses sujets faisant aussi partie des convertis. Un certain nombre de Luthériens participèrent à la fondation de Friedrichstadt et s’y établirent; en quelques années, ils devinrent la communauté religieuse la plus nombreuse de la ville. En 1649 ils inaugurèrent leur église consacrée à St-Christophe.
Cette église possède une peinture, « La Déposition du Christ », qu’elle reçut en 1675 du peintre baroque Jürgen Ovens; enfant de la région, il choisit de vivre à Friedrichstadt où il exerça son métier de peintre de cour des marquis de Gottorf.

De nos jours, les Luthériens restent la communauté numériquement la plus importante de la ville.

Les Catholiques

En 1625, ils obtinrent la liberté de culte et d’établissement, assorties de quelques restrictions. Ils n’avaient pas le droit de célébrer leur culte publiquement, leurs prêtres ne devaient porter la soutane que durant les services religieux et ils ne pouvaient pas construire de clocher. La petite communauté fut successivement placée sous la responsabilité des pères dominicains, puis jésuites. Elle acheta la maison dite « A cinq frontons », où elle installa une chapelle, dont la sortie, par décision du marquis, ne devait pas déboucher sur la rue principale. L’église fut profanée en 2003; depuis, les 140 catholiques de Friedrichstadt se rendent au culte dans la ville voisine de Husum.

Les Juifs

Ce n’est que sous le fils de Friedrich III, Christian Albrecht, que les Juifs obtinrent le droit de s’installer à Friedrichstadt. Dans un contrat signé avec l’Espagne, Friedrich avait dû s’engager à ne pas tolérer que des Juifs sepharades portugais s’adonnent au commerce; dans la foulée, il interdit aussi aux ashkénazes de s’établir dans sa ville. Le premier commerçant juif vint à Friedrichstadt en 1675; il acheta un terrain où il établit aussi un cimetière. Au début du XVIIIe s., la communauté juive engagea un rabbin et construisit une synagogue.

Les Juifs étaient autorisés à pratiques librement leur religion et acheter des propriétés, leur nombre n’étant pas limité; cependant, la participation à l’administration municipale leur était interdite, de même que les mariages mixtes. Au début du XIXe s., la communauté juive devint la deuxième en nombre, avec 400 fidèles. Cependant, les restrictions à leur encontre étant levées peu à peu dans toute l’Allemagne, de nombreux Juifs choisirent de quitter Friedrichstadt pour aller exercer leurs métiers ailleurs.

Les derniers Juifs de Friedrichstadt furent tous déportés dès 1933 et aujourd’hui, la ville n’en compte plus.

Les Mennonites

Cette communauté, issue des Anabaptistes, se développa au XVIe siècle selon les règles établies par le pasteur néerlandais Menno Simons. Ils rejettent le baptême, la contrainte étatique, le service militaire et la prestation de serment. Au XVIIe s. il y avait des communautés mennonites aux Pays-Bas et en Allemagne. Lors des négociations entre Friedrich III et les Remonstrants, ces derniers s’étaient prononcés en faveur de la tolérance envers les Mennonites. Connus comme étant d’excellents ouvriers et commerçants, en 1623 ils reçurent l’autorisation de s’établir à Friedrichstadt. Ils étaient libérés du service militaire, du serment, ainsi que des fonctions officielles. Au début du XVIIIe s., ils étaient 400 et jouaient un rôle important dans la vie économique de la ville. De nos jours, le nombre de Mennonites est d’environ 30 fidèles qui se réunissent trois fois par année pour célébrer leur culte. Depuis la fin de la 2e Guerre mondiale, les Mennonites partagent leur salle de prière avec la communauté luthérienne danoise.

Les Sociniens ou Frères polonais

Au XVIe siècle, deux membres de la famille Sozzini, de Sienne/Italie, Lelio et Fausto, fondèrent un mouvement religieux réformé dit Unitarien du fait qu’il niait la Sainte Trinité. Leur lecture de la Bible était basée sur le rationalisme et ils croyaient à l’égalité de tous les humains. Persécuté par les autorités, Fausto s’enfuit en Pologne où il rejoignit le mouvement unitarien des Frères polonais. Lors de la Contre-réforme catholique, les Unitariens dûrent à nouveau s’enfuir.

En 1662, un groupe de Sociniens – c’est ainsi que désormais on les appelait – arriva à Friedrichstadt sous la conduite de Stanislas Lubienicz. Ils avaient entendu parler de Friedrichstadt lors de contacts avec les Remonstrants. Cependant les milieux luthériens de la Cour de Gottorf exigèrent leur expulsion et les autorités de la ville ne purent s’y opposer. Après 18 mois de séjour, les Sociniens quittèrent Friedrichstadt.

Les Quaker ou Société des Amis

Issus d’une dissidence d’avec l’église anglicane, les Quaker se distinguent par l’absence de crédo et de toute structure hiérarchique. Pour eux, la croyance religieuse appartient à la sphère personnelle et chacun est libre de ses convictions. C’est l’autodidacte anglais George Fox qui, au XVIIe siècle, fonda ce mouvement.

Quelques Quaker s’établirent à Friedrichstadt en 1664. Le pasteur luthérien demanda et obtint leur expulsion auprès de la Cour de Gottorf; soutenus par les autorités de la ville, les Quaker refusèrent néanmoins d’obéir et obtinrent gain de cause. Ils finirent néanmoins par quitter Friedrichstadt en 1727.

Les Séparatistes suédois

En 1734, cette communauté religieuse, fondée en Suède par les frères Erikson, fut expulsée du pays sur ordre du roi. Les Séparatistes, voyant dans l’église officielle une institution au service du pouvoir en contradiction avec le Nouveau Testament, avaient refusé le serment, le baptême et préconisé la communauté des biens. Au nombre de 60, ils quittèrent la Suède par la mer et atteignirent Friedrichstadt après un aventureux périple d’une année et après s’être vu refuser l’asyle à plusieurs reprises. Avant de s’établir dans la ville, par l’intermédiaire d’un pasteur danois ils avaient envoyé une demande écrite aux autorités.

Dans une lettre exprimant parfaitement l’esprit de tolérance qui animait alors les autorités municipales, les Remonstrants leur répondirent :

« (…) Au nom du Seigneur, le Conseil a décidé (…) de vous permettre de venir chez nous. Vous serez accueillis amicalement et au nom de l’amour chrétien et ne serez pas tenus de prêter un quelconque serment qui s’oppose à vos convictions (…) ».

Les Séparatistes restèrent à Friedrichstadt jusqu’en 1737.

Les Témoins de Jéhova ou Etudiants de la Bible

Issus d’un mouvement né aux Etats-Unis d’Amérique du Nord dans les années 1870, les Témoins de Jéhova se distinguent par l’importance qu’ils accordent à la Bible, considérée comme la parole de Dieu. De tendance pré-millénariste, ils annoncent l’intervention imminente de Dieu dans les affaires humaines et ont pour objectif l’établissement du royaume de Dieu sur terre, seule solution aux maux de l’humanité.

Ils refusent les églises traditionnelles, le service militaire et la participation aux affaires publiques. En 1933, une vingtaine de Témoins vivaient à Friedrichstadt; considérant le régime national-socialiste comme le règne de Satan, ils s’y opposèrent de toutes leurs forces. Cela leur valut d’être condamnés par les tribunaux, voire déportés.

Les Mormons ou Eglise de Jésus-Christ des Saints des derniers jours

Les Mormons croient que leur Église, fondée aux Etats-Unis d’Amérique du Nord en 1830, ait été établie par Jésus lui-même, par l’intermédiaire du prophète Joseph Smith, et qu’elle ait été organisée comme l’Église primitive, celle du Nouveau Testament.

Entre 1920 et 1950 un certain nombre de Mormons avait élu domicile à Friedrichstadt. De nos jours, ils ont quasiment tous disparu.

Le grand nombre de communautés présentes à Friedrichstadt prouve que, pendant plusieurs siècles, une petite ville, fondée par des émigrés persécutés pour leur foi lors d’une période d’intenses guerres de religion, a su faire preuve d’ouverture et de tolérance envers quasiment toutes les autres religions. Encore de nos jours, la présence de divers édifices destinés aux cultes rappelle ce remarquable passé, même si le nombre des communautés présentes dans la ville a dans l’ensemble diminué.



 

Cosimo Nocera est historien et guide du Musée national de Bangkok. Il a vécu et travaillé en Italie, Suisse et en Amérique andine (Pérou, Equateur et Bolivie). Après un long séjour en Asie du Sud-Est, il vit actuellement en Suisse française.

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