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Les Khmer en Thaïlande/4Prasat frontière Thaïlande-Cambodge

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Prasat situés à la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande

Dans la visite de ces temples frontière, nous procèderons d’Ouest en Est.

Temples de la province de Sakaeo

Tout à l’Ouest, dans la province de Sakaeo se trouvent les prasat Sadok Kok Thom et Khao Noi Si Chomphu. Leur histoire récente, en particulier celle de Sadok Kok Thom, est liée à celle des mines terrestres.


Prasat Sadok Kok Thom

Bref historique du déminage

Il y a une dizaine d’années, ce prasat à la fière allure, situé près d’Aranyaprathet, à la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge, n’était guère plus qu’une ruine  et ses environs étaient truffés de mines terrestres rendant sa visite très périlleuse.

Pendant les conflits des années ’70 du siècle passé, Khmers rouges et blancs les avaient disséminées un peu partout, sans plan précis, en empiétant sur le territoire thaïlandais.

Même la paix revenue et jusqu’à ces dernières années, cette région frontière était endeuillée par de fréquents accidents, souvent mortels ; les habitants abandonnaient leurs terres, le développement économique et humain en était retardé.

Entre septembre 2000 et avril 2001, le Centre de déminage de Thaïlande et une ONG norvégienne avaient entrepris une recherche de terrain sur le degré de contamination du sol thaïlandais par les mines terrestres. Il en résulta que sur les 76 provinces du pays, 27, avec 531 communes, étaient concernées par les minées; la plupart se trouvaient dans une bande de 30 km de large le long des frontières de la Thaïlande avec le Cambodge, le Laos et le Myanmar. L’aire minée comptait 2500 km2, on estimait à 1 million les mines disséminées, à 500’000 personnes les populations directement menacées et à 3’500 les victimes d’accidents.

Plus de la moitié de ces données concernaient la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande.

Pendant la période des Khmer rouges, les combats avaient fortement endommagé les restes du prasat Sadok Kok Thom et ses environs avaient été truffés de mines.

C’est ainsi que prit forme le projet de déminage du prasat et de ses environs. Dans le cadre d’une action commune, le Centre antimines thaïlandais, l’Alliance japonaise d’aide au déminage (JAHDS) et la Fondation thaïlandaise Gén. Chartchai Chunhavan entreprirent, entre décembre 2000 et janvier 2004, le nettoyage de 408 km2 de terres avec 90 démineurs, 4 chiens spécialisés et plusieurs engins ad hoc.

Le prasat hindouiste de style khmer, construit en latérite en 1052, redécouvert en 1942 dans la forêt dense qui recouvrait la région, restauré parallèlement aux travaux de déminage, peut aujourd’hui être visité en toute sécurité. Les populations locales sont revenues sur leurs terres et la région se distingue par ses nombreux champs de canne à sucre, manioc, riz et ses troupeaux de buffles et de bovins.

Aujourd’hui encore, la Thaïlande est loin d’être totalement déminée ; comme les pays avoisinants, elle souffre toujours des effets des mines terrestres, disséminées par toutes sortes de belligérants, locaux et étrangers, lors des fréquentes guerres qui ont affligé la région au XXe siècle.

Le prasat 

Ce prasat, en style Baphuon, est daté du X-XIe siècle et a été édifié sous Udayadityavarman II.

Le site, restauré dès le début du présent siècle, se trouve au milieu d’une forêt et consiste en deux enceintes carrées munies de chaussées d’accès en blocs de latérite.

L’enceinte intérieure, entourée d’une douve, présente une tour centrale ouverte à l’Est, avec ses antarala et mandala,  deux librairies (bannalai), une entrée principale (gopura) à l’Est et une plus petite à l’Ouest, ainsi que des galeries; hors enceinte se trouve un grand baray.

Dans ce prasat on a retrouvé une stèle datée de 1052 qui est l’un des plus importants documents épigraphiques khmer. La stèle relate l’histoire de la dynastie brahmanique Shivakaivalya et contient la chronologie des rois khmer depuis 802. Cela inclut donc la fondation de l’Empire, qui remonte à l’arrivée au Cambodge de Jayavarman II, provenant de Java, son ascension au trône d’Indrapura (l’actuelle Phnom Penh) et le déplacement de la capitale à Hariharalaya près d’Angkor. Rappelons que c’est ce roi qui institua le culte du roi-dieu (devaraja).



Prasat Khao Noi Si Chomphu

Construit au 7e siècle, sous le règne de Isavarman Ier – la tour centrale ayant été reconstruite au XIe siècle, sous Bhavavarman II – ce prasat réunit les styles Sambor Prei Kuk tardif et début de Prei Kmeng.

Il est situé sur une colline boisée, tout près de la frontière cambodgienne. Au bas de l’escalier de 133 marches qui mène au temple on voit deux maisons d’esprits récentes.

Le prasat consiste en trois tours sur un rang, ouvertes à l’Est. Des trois tours ne subsiste que la tour centrale, restaurée dans les années ’90 du XXe siècle ; des deux autres tours ne subsistent que les bases, recouvertes de mousse.

On considère Khao Noi comme le plus ancien monument khmer significatif en Thaïlande à cause de ses cinq linteaux, visibles en copie, dont les originaux se trouvent au Musée national de Prachinburi. Les archéologues ont aussi découvert des lingas avec leurs piédestaux qui révèlent que le temple était consacré à Shiva.



Temples frontière des provinces de Surin et Si Saket

Trois, voire quatre temples et chapelles se suivent près du col de Ta Muen (province de Surin), dans la partie orientale de la chaîne des montagnes Dangrek. Ils font partie de ces centaines de sanctuaires que les rois khmer, Jayavarman VII en particulier, firent construire dans l’ensemble de l’Empire, près d’hôpitaux et d’auberges (Maisons du feu) bâtis, eux, en bois et dont le temps a eu raison.

Implantés dans une zone frontière, ils ont parfois été la cause d’accrochages entre forces cambodgiennes et thaïlandaises pour l’affirmation de la souveraineté sur ces sanctuaires.

Dans les années ’80, la région a été occupée par les Khmer rouges et il semble que d’importants dégâts aient été commis part des pilleurs de monuments : les décorations de Ta Muen Thom ont toutes été enlevées et deux tours ont été virtuellement détruites. Néanmoins, l’intérêt  intrinsèque, le site naturel plaisant et le nombre réduit de visiteurs confèrent à ces sanctuaires un attrait très particulier.

Nous mentionnerons brièvement le Prasat Khao Phra Viharn (Preah Vihear en cambodgien), qui mérite un chapitre à part. 


Prasat Don Thuan

Situé dans la province de Si Saket, directement sur la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge, sur une falaise de la chaîne des Dangrek, ce temple peu connu a été construit au X-XIe siècle. Il consiste en une tour dont la base est en latérite ; la partie supérieure en briques s’achève en une pyramide à cinq étages. La tour ouvre à l’Est et présente un encadrement de porte en molasse ; les trois autres côtés sont pourvus de fausses portes en latérite. Un ensemble de quatre colonnes entourées d’un muret d’enceinte, qui semblent avoir soutenu la couverture en bois et tuiles du mandapa, se détache de la tour ; une allée menant à l’entrée de l’enceinte extérieure du temple (gopura) est pourvue d’une seconde colonnade. Le blocs retrouvés plus loin constituaient vraisemblablement le sol d’une bibliothèque (bannalai). Un étang (baray) est situé à 400 m des restes du temple.



Prasat Ta Muen Thom

Ce temple du XIe siècle, construit sous le roi Udayadityavarman II en style Baphuon tardif, est situé au ras de la frontière. Il a été restauré en 1991.

Installé au sommet du col de Ta Muen, dans la chaîne des montagnes Dangrek, il sanctuaire occupe une crête au-dessus d’une petite vallée, dont le cours d’eau coule en direction de la plaine cambodgienne. 

Actuellement, le temple est présidé par les forces armées des deux pays.

Le site est rectangulaire, avec une enceinte où se trouvent une tour centrale, avec son mandapa ou pavillon et son antarala ou vestibule, deux tours secondaires et deux autres constructions en latérite. 

Comme Phimai et contrairement à la majorité des temples khmer, Ta Muen Thom est orienté au Sud, en direction d’Angkor.

Au centre de la tour principale on a découvert un linga rocheux naturel; on suppose que le temple ait été construit autour de ce symbole sacré shivaïque. Un somasutra ou canal d’évacuation des eaux lustrales, quitte la tour centrale par le Nord-Est.

Sur le côté Sud de l’ensemble, hors enceinte, se trouve un escalier monumental situé à quelques mètres de la frontière. Au sommet de l’escalier on aperçoit le mur d’enceinte avec son gopura principal. D’autres gopura se trouvent sur les côtés. A l’intérieur, l’enceinte est flanquée par d’imposantes galeries.

On trouve ici et là des linteaux à peine ébauchés ou non terminés. Certains linteaux ont été détruits pendant l’occupation du temple par les Khmer rouges dans les années ’80; toutes les décorations ont été enlevées par des pilleurs.

Un étang se trouve hors enceinte, au Nord de l’ensemble.


 


Prasat Ta Muen Toch

Datant de la fin du XIIe/début du XIIIe, ce temple a été construit en style Bayon pendant le règne du roi Jayavarman VII. Il est situé près du Prasat Ta Muen Thom et sa fonction était celle de chapelle d’hôpital, à l’instar d’une centaine d’autres temples semblables disséminés dans tout l’Empire khmer.

Ta Muen Toch reflète parfaitement le modèle de ces temples, construits un peu à la hâte : une enceinte rectangulaire en latérite, avec son gopura sur le côté Est muni d’une entrée principale et de deux entrées secondaires; au centre une tour principale, dotée d’un petit porche couvert en pierre et latérite, avec une petite fenêtre sur le côté Sud; les fondements de la tour sont en latérite, le corps en pierre et le sommet encore en latérite; enfin, il y a une bibliothèque en latérite. Une plateforme en altérité de 30 mètres de longueur mène de l’extérieur vers le gopura et une autre plateforme, à l’intérieur de l’enceinte, relie le gopura et la tour centrale. L’hôpital lui-même, dont il n’y a plus trace, était construit en bois.

A l’angle Nord-Est de l’enceinte se trouve un étang aux parois en latérite, vraisemblablement utilisé à des fins rituelles.



Prasat Ta Muen

Construit sous Jayavarman VII, en style Bayon, à la fin du XII/début du XIIIe siècle, cet édifice était la chapelle d’une auberge ou dhammasala située à une brève distance de Ta Muen Toch.

Les dhammasala, appelées aussi Maisons du feu, ont été décrites comme suit par un chroniqueur chinois du XIIIe siècle : « Le long des grandes routes il y a des auberges, comme nos relais postaux. » Selon les inscriptions retrouvées, Ta Muen était l’une des dix-sept chapelles situées sur la route entre Angkor et Phimai.

La construction consiste en une tour, prolongée par un porche de 12 mètres de long, formant à l’intérieur une grande salle pourvue de cinq fenêtres sur le côté Sud. Il n’y a pas de mur d’enceinte. L’auberge elle-même, dont on n’a pas trouvé trace, était bâtie en bois.

Les seules décorations découvertes consistent en quelques statues d’un Bouddha assis sur un support en pierre, ainsi qu’en un linteau représentant le Bouddha sur un Kala.


 


Prasat Khao Phra Viharn (Preah Vihear)

Construit entre les siècles IX et XIIe, sous les règnes des rois Yasovarman Ier, Suryavarman I et II et Jayavarman V et VI, ce grand temple est principale en style Baphuon.

Il est situé sur un plateau de la chaîne des Dangrek dominant la plaine cambodgienne et forme depuis longtemps l’objet d’un contentieux territorial entre la Thaïlande et le Cambodge. En 1962, la Cour internationale de La Haye l’a attribué au Cambodge. Actuellement, la frontière est fermée.

Construit selon un axe Nord-Sud, il a été un important centre de pèlerinage et peut-être de commerce entre la plaine Sud et le plateau Nord de l’Empire khmer (cf. art. 1)

Le prasat consiste en une suite de quatre gopura reliés entre eux par des chaussées et des escaliers, montant vers le sanctuaire implanté au Sud, au sommet du plateau, à 625 m s.m.

Consacré à Shiva au moment de sa construction, dès le XIIIe siècle le temple a été converti au bouddhisme théravada.

Parc National Khao Phra Viharn

Côté thaïlandais de la frontière a été instituée une aire protégée dont le point culminant, agrémenté d’un petit temple, se situe face du prasat. Lorsque les relations entre la Thaïlande et le Cambodge le permettent, il est possible de visiter Preah Vihearn depuis ce point.

Dans la falaise Pha Mo I Daeng, on peut voir des bas-reliefs découverts récemment et qui représenteraient le dieu hindouiste de la richesse, Kubera, flanqué de deux divinités féminines. Entre le sommet et la frontière on peut aussi voir deux stupa à la forme particulière appelés Prasat San Top, construits au 11e siècle : une légende dit qu’ils symboliseraient l’abondance.


 


 

Cosimo Nocera est historien et guide du Musée national de Bangkok. Il a vécu et travaillé en Italie, Suisse et en Amérique andine (Pérou, Equateur et Bolivie). Après un long séjour en Asie du Sud-Est, il vit actuellement en Suisse française.

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