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Les Khmer en Thaïlande/3Plateau de Khorat : quatre prasat importants

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Plateau de Khorat : quatre prasat importants

Parmi les nombreux prasat qui jalonnent le Plateau de Khorat nous en présentons quatre qui sortent de l’ordinaire : Phanom ou Phnom Rung, Phimai, Muang Tam et Sikhoraphum


Phanom ou Phnom Rung

Ce temple, datant du début du Xe – fin du XIe siècle, présente les caractéristiques des styles angkoriens Koh Ker et Baphuon. Il est situé dans la province de Buriram (Thaïlande du Nord-Est). 

Construit en pierre, sur le sommet d’un ancien volcan, il a été restauré entre 1972 et 1988.

Rappel historique

Elevé à la gloire du roi Narendraditya, de la dynastie Mahidharapura, au sein de l’empire khmer Phanom Rung prouve l’autonomie du plateau de Khorat par rapport au Cambodge angkorien. En effet, de la dynastie Mahidharapura sont issus de grands rois d’Angkor, à savoir Jayavarman VI, Suryavarman Ier et Jayavarman VII. Sans être proprement vassale d’Angkor, cette dynastie lui prêtait néanmoins allégeance. Onze inscriptions retrouvées à Phanom Rung fournissent un tableau lacunaire de son histoire : la plus ancienne remonte au VII ou VIIIe s., quelques siècles avant les constructions actuellement visibles. L’une d’entre elles, datée de 1150, affiche une proclamation de suzeraineté sur la région environnante émanant du roi Narendraditya, en compensation de son aide militaire au roi d’Angkor Suryavarman II. Un linteau représentant une scène de bataille, situé au-dessus de l’entrée Sud de Phanom Rung, confirme que Suryavarman, fondateur d’Angkor Vat, reçut un soutien militaire d’une puissance située plus au Nord.

Notons que ce temple, situé sur une colline, est toujours entouré de ces rizières irriguées ayant fourni jadis une importante assise économique aux seigneurs du lieu.

Cosmologie

Phanom Rung était consacré au dieu Shiva, qui apparaît à plusieurs reprises dans la décoration du temple. Sa construction au sommet d’une colline reflète le symbolisme de la cosmologie hindouiste (montagne divine, océans, etc.). Outre des images de Shiva, on y trouve des représentations de divinités hindouistes telles Krishna, Ravana, Vishnou, Nandi, etc.

Un linteau, en particulier, attire l’attention du visiteur. Situé en-dessous d’un fronton représentant Shiva dansant pour annoncer la fin d’un cycle de vie de l’univers (kalpa), il met en scène Vishnou allongé sur un dragon à tête de lion, rêvant du monde nouveau qui remplacera l’ancien. Ce linteau, subtilisé par des pilleurs et retrouvé en possession d’un « collectionneur » états-unien, ne put réintégrer le prasat qu’en 1988, après de longues négociations. A noter que les quelques dragons, présents dans l’iconographie khmer, semblent provenir de la culture des principautés indianisées du Champa, situées à l’époque dans l’actuel Vietnam central et méridional.

On sait que les deux ponts à najas, typiques de l’architecture khmer tardive, avaient la fonction symbolique de relier, à la manière d’un arc-en-ciel, le domaine terrestre au céleste.

Les bâtiments

De même que Phra Viharn (cf. art. Khmer/4), Phanom Rung et l’un des rares temples khmer axiaux, bâti sur un axe E-O d’une longueur de plus de 500 m. Depuis sa terrasse on a une belle vue sur le Sud et l’Est et on peut apercevoir en contre-bas le temple et le baray de Muang Tam. Une route royale reliait Angkor aux prasat de Phanom Rung et Muang Tam, en passant par le col de Ta Muen.

L’ensemble architectural, orienté à l’Est, comprend une longue allée en latérite qui, en passant par deux plates-formes en croix et deux ponts à nagas, aboutit au sanctuaire proprement dit, entouré d’une enceinte munie de quatre gopura (portes) sur les côtés et de quatre pavillons d’angle. Les gopura sont reliés entre eux par des galeries. La terrasse devant le gopura Est du sanctuaire est précédée de quatre étangs. Après avoir pénétre dans l’enceinte on aperçoit en premier le mandala (antichambre du sanctuaire principal), puis la grande tour principale en forme pyramidale à cinq niveaux, richement décorés. De cette tour débouche un somasutra ou canal d’évacuation des eaux lustrales ayant servi à des cérémonies religieuses. Une plus petite tour se trouve dans l’angle S-O; elle est antérieure au complexe du sanctuaire. Dans l’angle S-E de l’enceinte se trouve une bannalai (bibliothèque), ainsi que les restes de deux constructions en briques. A l’extérieur, à droite de la première plate-forme, se trouve un bâtiment, dit Halle de l’éléphant blanc, dont on ignore la fonction.

Les frontons et linteaux

Riche en décorations d’inspiration hindouiste, Phanom Rung possède une belle série de frontons et linteaux. Nous avons mentionné plus haut le fronton montrant Shiva dansant et le linteau avec le rêve de Vishnou. De plus, le fronton du gopura Est montre un ascète qui pourrait représenter Shiva ou bien le roi Narendraditya, qui devint yogi après avoir abdiqué en faveur de son fils; le linteau en-dessous montre une divinité sur kala entourée de deux lions. A l’intérieur du mandapa se trouve une statue du taureau Nandi, monture de Shiva.


 


Phimai

Prasat le plus connu du plateau de Khorat, Phimai a été restauré entre 1964 et 1969. Le temple, fondé fin XIe – fin XIIe siècle, réunit les styles angkoriens Baphuon, Bayon et Angkor Vat. Il est situé dans la province de Nakhon Ratchasima, dans le Nord-Est de la Thailande.

Selon les inscriptions retrouvées, il était le temple de la ville de Vimayapura, dont le nom, déformé, est devenu Phimai. Bâti sur les rives du fleuve Mun, dans un site entouré d’eau de trois côtés, le temple était placé au milieu d’une communauté urbaine protégée par des murailles et un large fossé rempli d’eau. Ville et temple étaient pourvus de quatre portes; au Sud, la Porte de la Victoire marquait l’aboutissement de la route royale d’Angkor.

Rappel historique

Comme Phnom Rung, l’importance de Phimai est due à une dynastie locale, celle des Mahidharapura, dont sont issus plusieurs rois d’Angkor (entre autres Jayavarman VI, Suryavarman II et Jayavarman VII). Site de premier ordre, son nom est mentionné dans une inscription de 1082 de Phanom Wan qui mentionne le temple et le roi Jayavarman VI, ainsi que dans une inscription du XIIe siècle d’Angkor (Preah Khan) qui précise que Phimai était l’aboutissement de la route royale d’Angkor. Les chroniques chinoises du XIIIe siècle mentionnent une province, P’u-mai, faisant partie des 90 provinces du royaume khmer.

Cosmologie

Le temple était consacré au bouddhisme mahayana, ce qui est peu courant pour un sanctuaire du début du XIIe siècle; rappelons que jusqu’à l’avènement de Jayavarman VII en 1181, les grands temples khmer vénéraient les dieux hindouistes Shiva et Vishnou. Précisons que sur le plateau de Khorat, la tradition bouddhiste mahayana remonterait au VIIe siècle.

Le plan de ce temple rappelle une fois de plus le modèle de l’univers selon la cosmologie hindouiste, avec des chaînes de montagnes entourant le Mont Mérou, situé au centre, des plans d’eau et un pont à nagas reliant le monde terrestre au domaine divin; toutefois, contrairement aux conventions, l’entrée du temple est orientée au Sud-Est plutôt qu’à l’Est. Cela pourrait s’expliquer par la volonté de faire face à Angkor, capitale à laquelle Phimai était relié par une route royale. On y trouve de nombreux symboles bouddhistes et hindouistes qui prouvent la coexistence des deux religions caractérisant, à quelques brèves exceptions près, l’histoire des Khmer.

En outre, la découverte de statues des divinités Vajrasattva et Trailokyavijaya prouve qu’à Phimai, le bouddhisme tantrique jouait un rôle non négligeable.

Les bâtiments

Comme Angkor Vat, qu’il précède de quelques années, Phimai est un temple à forme concentrique, entouré d’une première, puis d’une seconde enceinte avec des gopura sur chaque côté. L’entrée Sud de la seconde enceinte est précédée d’un pont à nagas. Avant ce pont, sur la gauche, on note les restes d’une constrution appelée Khlang Ngoen ou Trésorerie, dont on ignore le rôle exact. A l’intérieur de l’enceinte se trouvent des baray (étangs). C’est dans le gopura Sud de la seconde enceinte que l’on a retrouvé une inscription de 1112 qui mentionne l’installation en 1108 d’une statue de la divinité tantrique Trailokyavijaya par le roi de Phimai, Virendradhipativarman. .

C’est en pénétrant dans la première enceinte, également par son gopura Sud, qu’on aperçoit la tour centrale précédée du mandapa ou vestibule. Autour du sanctuaire central se situent, sur le côté Sud, les restes de deux tours dites Prang Hin Daeng et Prang Brahmadat.

La tour centrale, elle, est dotée de nombreux frontons et linteaux. Les bases des piliers portent des sculptures figuratives et il semble que cette pratique ait eu son origine à Phimai, au XIe siècle. Au ras du sol de la tour centrale on aperçoit, dans l’angle Nord-Est, une ouverture vers l’extérieur du bâtiment abritant un somasutra ou canal d’évacuation des eaux lustrales utilisées durant certaines cérémonies.

Dans l’enceinte intérieure il y a une bannalai ou librairie dans laquelle on a retrouvé plusieurs linga. Des galeries, dont certaines ont conservé leurs toits, courent le long de l’enceinte, avec leurs fenêtres ouvertes sur la cour. 

Entre les gopura Ouest intérieur et extérieur se trouvent les restes de deux grands bâtiments rectangulaires dits pavillons jumeaux. On ignore quelle était leur fonction. Des gopura extérieurs, seul le gopura Est se trouve dans un bon état. 

Linteaux, frontons et statues

La tour centrale et le mandapa sont richement garnis de frontons et linteaux montrant des statues du Bouddha et des dieux tantriques Vajrasattva et Trailokyavijaya, ainsi que des scènes de l’épopée indienne Ramayana. A noter que les symboles bouddhistes figurent à l’intérieur, alors que les symboles hindouistes se trouvent à l’extérieur.

Au centre de la tour, dans le garbhagrha ou salle intérieure, se trouve une copie de la statue d’un Bouddha sous naga dont l’original est visible au Musée national de Bangkok. On découvre quelques images sur d’autres bâtiments, notamment,  au coin des galeries, la représentation d’un Shiva dansant.

Dans la tour Prang Brahmadat se trouve la copie d’une statue de Jayavarman VII méditant dont l’original se trouve aussi au Musée national de Bangkok.



Muang Tam

Ce prasat a été fondé au XIe siècle, en styles Khleang et Baphuon, sous les règnes de Jayavarman V, Suryavarman Ier et Udayadityavarman II. Lors de sa restauration dans les années ’90 du XXe s., on a découvert deux statues de gardiens actuellement déposées au Musée national de Bangkok.

Sa situation un peu à l’écart et ses étangs confèrent à Muang Tam un charme certain.

Dans le temple on n’a pas trouvé d’inscriptions, mais ses linteaux donnent des indications sur le style. Muang Tam a été consacré à Shiva : un grand linga a été découvert dans la tour centrale.

Le prasat a été construit selon le schéma des deux enceintes carrées extérieure et intérieure, cette dernière abritant cinq tours en briques; sur les côtés Nord-Est et Sud-Est il y a également deux librairies.

Autre particularité, les quatre étangs en forme de L situés entre les deux enceintes représentant vraisemblablement les quatre océans entourant le Mont Mérou. Elles sont entourées par un muret en forme de naga.

Les enceintes, en latérite, comprennent chacune quatre gopura situés aux quatre points cardinaux, les entrées principales se situant à l’Est. Au Nord on trouve un très grand baray resté en service pendant 900 ans et alimenté par des cours d’eau descendant des Dangrek. Au Nord du baray, l’eau coulait dans le canal artificiel Khlong Pun, creusé entre les Dangrek et les collines de Phanom Rung, formant une partie importante du système d’irrigation construit par les Khmer.

Passé le gopura d’entrée à l’Est, portant un linteau et un fronton décorés, on découvre de chaque côté l’un des étangs creusés à l’intérieur de l’enceinte, pourvu de fleurs de lotus. Sur les deux côtés de chaque étang on note des portes basses formées par les queues des nagas entourant les étangs. D’autres gopura à l’Ouest (de la même taille que le gopura Est), ainsi qu’au Sud et au Nord (plus petits) déploient également une vue sur les étangs et ont un ordonnancement semblable.

Le gopura Est de l’enceinte intérieure mène à la tour centrale ; à l’intérieur comme à l’extérieur il est pourvu de linteaux et frontons en style Baphuon. Il est prolongé par des galeries en latérite qui font le tour de l’enceinte en passant par les autres gopura.

Restauration dans les années ’90, découverte de deux statues de gardiens déposés au Musée national. Sauf la tour principale, les tours centrales en briques, au nombre de quatre, ont toutes été restaurées; on y voit de beaux linteaux.

Le gopura Ouest intérieur, contrairement aux autres, a été construit en molasse. Sur le gopura Ouest extérieur on peut voir deux linteaux inachevés.


 


Sikhoraphum

Ce temple du XIIe siècle, construit en styles Baphuon et Angkor Vat sous le règne de Suryavarman II et destiné d’abord au culte hindouiste puis au bouddhisme mahayana, est situé dans la province de Surin.

Son intérêt réside dans le fait qu’il comporte cinq prang (tours) en brique, sur un socle en latérite et grès, disposés en quinconce ; la tour centrale est entourée de quatre tours situées aux angles du socle. Le prang principal présente d’intéressantes décorations : linteau avec Shiva dansant au-dessus d’un kala, entouré des divinités Brahma (à quatre têtes dont trois visibles), Ganesh (éléphant), Vishnou et Uma (divinité féminine) ; encadrements de porte avec décors d’apsara et devata. Au-dessus du linteau on remarque un décor de naga couronnés. Une douve en forme d’U entoure l’ensemble.



 

Cosimo Nocera est historien et guide du Musée national de Bangkok. Il a vécu et travaillé en Italie, Suisse et en Amérique andine (Pérou, Equateur et Bolivie). Après un long séjour en Asie du Sud-Est, il vit actuellement en Suisse française.

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