Arts | Cambodge | Histoire

Temples khmer du Cambodge/1Distribution géographique des temples et deux prasat importants

par   | 0 commentaire

Cette contribution comporte les 5 articles suivants :

– Les origines de l’Empire khmer : bref historique ;

– Monarchie, art et architecture : périodisation de l’histoire des Khmer ;

– Quelques temples de la province de Takeo (Sud-Ouest) ;

– Quelques temples des provinces de Kampong Thom et Preah Vihear ;

– Quelques temples de la province de Siem Reap.


 

Bref historique du Cambodge ancien

L’histoire ancienne du Cambodge est reliée à deux Etats, le Funan et le Tchen-la, établis dès le IIe siècle dans la basse vallée du Mékong.

Elle est aussi reliée à un phénomène appelé « indianisation » qui a atteint l’Asie du Sud-Est vers le début de notre ère.

Un historien explique cet important phénomène historique comme suit :

« …l’indianisation de l’Asie du S-E au cours des premiers siècles de notre ère s’est produite après environ mille ans d’échanges réguliers avec l’Inde, durant lesquels certaines populations de l’Asie du S-E, qui avaient commencé à s’organiser selon des systèmes politiques de plus en plus complexes, jouèrent un rôle décisif, en particulier dans la mise en place de réseaux commerciaux par la voie maritime, pour l’exportation de l’or et de l’étain. » P.-Y. Manguin, 2005

 Le Funan (I/II-VIIe s.)

Dans la basse vallée du Mékong, vers le IIe s., des Môn-Khmer ou des Cham établirent le premier grand royaume pratiquant le commerce maritime d’Asie du S-E.

En l’absence d’inscriptions en langage local, c’est aux chroniques chinoises plus tardives (III-VIIe s.) que nous devons nos informations. Ces descriptions ont permis de donner un nom au royaume, à savoir Funan (en chinois, Biu Nam) et de le situer géographiquement.

La légende de ses origines veut qu’un guerrier ou brahmane hindou nommé Kaundinya arriva au Funan, où il épousa la princesse Soma et devint roi. Culturellement plus avancé, il aurait habillé la princesse qui était nue, civilisant ainsi les Funanais.

Un second roi hindou serait d’ailleurs arrivé vers 480, inaugurant une nouvelle phase d’indianisation, ce qui paraît confirmé par la recherche et l’art. Ce roi, nommé Jayavarman, envoya deux ambassades en Chine.

Le peuple, qui semble avoir bénéficié d’un bon niveau de vie, habitait dans des maisons en bois et pratiquait l’artisanat; les Funanais étaient de bons marchands et constructeurs de bateaux; le roi vivait avec sa cour dans un palace à étages et se déplaçait à dos d’éléphant. Les distractions consistaient en combats de coqs et cochons; la justice fonctionnait selon le jugement de dieu.

Les Funanais pratiquaient les religions hindoues (shivaïsme et vishnouïsme). Le bouddhisme mahayana apparaît au Ve s. sous la forme de statues et tablettes votives, monuments religieux et funéraires. Les monuments funéraires, uniques en Asie du S-E, indiquent, ainsi que d’autres objets, un lien avec le monde indo-iranien.

On suppose que l’organisation politique du pays était décentralisée; le Funan s’étendait du delta du Mékong au lac Tonlé Sap. Outre que sur le commerce maritime, son économie était basée sur la riziculture; établi sur un territoire plat et riche en eau, le Funan créa un système hydraulique, avec ses bassins, canaux et étangs, mobilisant et dirigeant pour cela une importante masse de main-d’oeuvre prouvant la puissance de son pouvoir politique.

Angkor Borei est le premier site habité de l’ensemble qui sera le Funan (V-IVe s. av. JC) ; la région a été fouillée par les archéologues de l’Ecole française d’Extrême-Orient.

Vers 650, les zones côtières du Funan semblent avoir été abandonnées au profit de l’arrière-pays, les canaux n’étant plus entretenus. Le déclin fut probablement dû à l’émergence de nouvelles routes maritimes et du royaume de Srivijaya (Sumatra), qui imposa sa souveraineté sur le détroit de Malacca pendant plusieurs siècles; selon les Chinois, le Funan aurait cédé le pas à un Etat pré-khmer, nommé Tchen-la.

Le Tchen-la (III/VII-VIIIe s.)

Le Tchen-la aurait eu pour centre le site de Lingaparvata, aujourd’hui Vat Phu au Laos, et se serait étendu dans la moyenne vallée du Mékong; le fondateur du royaume, vers le Ve s., aurait été le roi Shresthavarman.

Cet Etat, dont les habitants auraient appartenu au même groupe môn-khmer que les Funanais, dont ils étaient tributaires, fut  également indianisé.

Les chroniques chinoises nous renseignent sur le Tchen-la (Zhenla en chinois) jusqu’au VIIIe.

Dès le Vie s., à la suite de problèmes dynastiques, des conflits opposent le Tchen-la au Funan; lorsque le Funan est en déclin, le roi du Tchen-la Isanavarman réussit à réunir les deux royaumes sous sa personne. Toutefois, en l’absence d’héritiers, le Tchen-la/Funan se scinda, vers 681, en deux Etats : Tchen-la de terre et Tchen-la d’eau; ce dernier s’étendit sur le delta du Mékong et une partie de l’actuel Cambodge, le premier, sur le Moyen-Mékong et le plateau de Khorat dans l’actuelle Thaïlande. Vers 723, une nouvelle scission divisa le Tchen-la en de nombreux Etats, dont certains nous sont connus. Dès 750, les rois Sailendra de Java attaquèrent le Tchen-la d’eau, qu’ils pillèrent puis occupèrent pendant une décennie; plus tard, vers la fin du VIIIe s., le Tchen-la fut absorbé par les Khmers.

La civilisation du Tchen-la se confond avec celle dite pré-angkorienne (VI-VIII), qui précède la fondation de l’Empire Khmer, au début du IXe siècle, par le roi Jayavarman II. Le Tchen-la fait donc figure d’Etat pré-khmer.

L’histoire ancienne du Cambodge a aussi été marquée par ses relations avec un Etat voisin, le Champa établi au Viet-Nam actuel.

Le Champa (IV-XVI/XIXe s.)

Les Cham fondèrent des royaumes sur la côte de ce qui est aujourd’hui le Viet-Nam, entre Quang Binh au Nord et Binh Thuan au Sud; ils arrivèrent de Bornéo par mer, au cours des derniers siècles avant JC, s’installant dans un territoire déjà occupé par des Môn-Khmer. Les Cham s’établissant dans les deltas et bassins fluviaux, les ethnies déjà présentes se retirèrent dans les régions intermédiaires faisant de l’Etat cham une entité pluriethnique.

Nous sommes renseignés sur le Champa grâce aux découvertes de restes et inscriptions (stèles, pierres), ainsi qu’aux chroniques chinoises et vietnamiennes. Le terme Champa se retrouve sur une inscription en sanscrit du VII, alors que des textes chinois font état d’un royaume de Lin Yi (192), Lam Ap en vietnamien, qui pourrait correspondre à un ancien royaume pré-champa autour de Hué.

Les Cham étaient d’excellents marins et leur langue était semblable au malais d’Aceh.

La géographie ne favorisant pas la création d’un royaume unifié, c’est une série d’Etats établis dans les vallées des nombreux cours d’eau de la côte vietnamienne, accessibles par mer, qui se forma.

Outre que de la Chine, le Champa reçut des influences culturelles de l’Inde, du Cambodge et de l’islam. C’est de l’Etat voisin du Funan que vint la culture indienne : le sanscrit fut adopté comme langue culte, l’hindouïsme devint religion d’Etat, l’art aussi s’en inspira. L’influence cambodgienne fut la conséquence des fréquents contacts entre les deux pays voisins; dès le Xe s., c’est le commerce qui apporta des influences islamiques.

La religion pratiquée par les Cham était l’hindouïsme (shivaïsme, vishnouïsme), mêlé à des pratiques plus anciennes; au IX-Xe s., le bouddhisme mahayana s’installa à Indrapura, sous le règne du roi Indravarman II; l’islam s’installa dès le Xe et surtout au XVe siècle.

Le Champa était composé de plusieurs royaumes. Du Nord au Sud, on distingue : Amaravati/Quang Nam, Indrapura/Da Nang, Vijaya/ Binh Dinh, Kauthava/Nha Trong et Panduranga/Ninh Thuan. Son histoire n’a pas évolué de façon unitaire et continue, mais selon les rapports de force entre Etats et entre clans (dua et cau), et selon la conjoncture économique et politique.

L’économie du Champa était basée essentiellement sur le commerce; ses produits d’exportation (or, argent, esclaves, animaux et bois précieux dont surtout le bois d’aloès) provenaient de l’arrière-pays boisé.

L’histoire du Champa est ponctuée de conflits avec ses voisins, Khmer et Vietnamiens.

Concernant les Khmer, les rapports entre les deux Etats furent changeants, tantôt pacifiques, tantôt émaillés de conflits.

Guerres entre Cham et Khmer

En 944-45, les Khmers envahirent le royaume cham de Kauthara et pillèrent le temple de Po Nagar en emportant la statue de la déesse.

En 1044 les Khmers revinrent à l’attaque détruisirent les temples de My Son et pillèrent le royaume cham de Vijaya en 1080; ils furent toutefois repoussés et les temples restaurés.

La même année, une nouvelle dynastie s’établit à Angkor et en 1145, Suriyavarman II, fondateur d’Angkor Vat, occupa Vijaya et détruisit une autre fois les temples de My Son; il en fut chassé en 1149 par le roi du royaume cham de Panduranga, Jaya Harivarman, qui se proclama roi du Champa.

Les Cham prirent leur revanche en 1170, lorsque leur roi Jaya Indravarman IV, ayant fait la paix avec les Vietnamiens, envahit le Cambodge et réussit l’exploit d’attaquer, avec une flotte remontant le Tonlé Sap, l’alors capitale des Khmers, Yasodharapura, de la mettre à sac et de tuer leur roi.

Néanmoins, onze ans plus tard, la guerre reprit; elle se conclut en 1220 avec la conquête de Vijaya par les Khmer et la perte de son indépendance.

De nombreux épisodes de ces conflits sont représentés dans les bas-reliefs d’Angkor, notamment les incursions des Cham en pays khmer par la voie aquatique.

L’Empire khmer

Du IXe au XIII/XIVe siècle, l’Empire khmer était l’une des puissances dominantes de l’IndochineOn date sa fondation de 802, lorsque le roi Jayavarman II revenu de la cour du roi Sailendra de Java et monté au trône d’Indrapura, un royaume du Tchen-la, introduisit le culte du dieu-roi (devaraja) dans le brahmanisme et se déclara chakravartin ou monarque universel, régissant l’ensemble du monde par sa sagesse et sa vertu dans le respect des règles de la loi religieuse (dhamma).

Dans les années qui suivirent, Indravarman Ier étendit le territoire de l’Empire et établit sa nouvelle capitale à Hariharalaya, près de l’actuelle ville cambodgienne de Roluos.

Yasovarman Ier (889-915) fonda une nouvelle capitale à Yasodharapura, la première cité d’Angkor, à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest d’Hariharalaya.

Les plus anciennes traces des origines de l’Empire ont été découvertes sur le site du temple de Sadok Kok Thom (XIe siècle), dans la province thaïlandaise de Sa Kaeo. Une stèle, datée de 1052, énonce la chronologie des anciens souverains khmers, depuis l’accession au trône de Jayavarman II, en 802 de notre ère, jusqu’à Udaiadityavarman II (1050–1066).

Prasat Sadok Kok Thom/Sakaeo : Dans ce prasat on a retrouvé une stèle datée de 1052 qui est l’un des plus importants documents épigraphiques khmer. La stèle relate l’histoire de la dynastie brahmanique Shivakaivalya et contient la chronologie des rois khmer depuis 802. Cela inclut donc la fondation de l’Empire, qui remonte à l’arrivée au Cambodge de Jayavarman II, provenant de Java, son ascension au trône d’Indrapura (l’actuelle Phnom Penh) et le déplacement de la capitale à Hariharalaya près d’Angkor. Rappelons que c’est ce roi qui institua le culte du roi-dieu (devaraja). (Extrait de l’art. « Les khmer en Thaïlande/4 »)

Suryavarman Ier mena une politique de conquêtes militaires qui lui permirent d’étendre son royaume jusqu’à l’actuelle ville thaïlandaise de Lopburi à l’ouest et l’isthme de Kra au sud.

Pendant 37 ans, son fils, le roi Suryavarman II (1113-1150) construisit le temple d’Angkor Vat, dédié au dieu Vishnou; en même temps, l’empire s’agrandit, à l’ouest en intégrant l’état Môn d’Haripunchai (dans le nord de l’actuelle Thaïlande) et une partie du royaume de Pagan (de nos jours dans le Myanmar), à l’est en annexant plusieurs provinces du Champa, au sud jusqu’à Nakhon Si Thammarat (en Thaïlande) et enfin, au nord, jusqu’au Laos contemporain.

Jayavarman VII (1181-1219) est connu comme le dernier grand roi d’Angkor du fait des imposants travaux réalisés durant son règne, notamment la nouvelle capitale d’Angkor Thom. Au centre, le roi, adepte du bouddhisme mahayana, construisit le Bayon, ensemble de tours de pierre symbolisant des visages monumentaux du bodhisattva Avalokitesvara.

Indravarman III fut souverain de l’Empire khmer de 1295 à 1308. Peu de données sont disponibles sur la période qui suivit son règne car la dernière inscription connue se trouve sur un pilier daté de 1327. Plus aucune construction monumentale ne semble pas avoir été entreprise dès lors.

La capitale est conquise en 1352 par les Siamois d’Ayutthaya; ses habitants sont déportés et le pays est placé sous l’autorité siamoise. D’autres attaques d’Ayutthaya ont lieu en 1394, 1420 et 1431. En 1432, le roi Ponhea Yat décide de quitter sa capitale en 1432 pour Srey Santhor, puis, en 1434, il s’installe à Chaktomuk, sur le site de l’actuelle Phnom Penh. Ang Chan Ier l’abandonnera à son tour pour s’établir vers 1528 à Lovek.



 

Cosimo Nocera est historien et guide du Musée national de Bangkok. Il a vécu et travaillé en Italie, Suisse et en Amérique andine (Pérou, Equateur et Bolivie). Après un long séjour en Asie du Sud-Est, il vit actuellement en Suisse française.

    Laisser un commentaire

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *