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Syrie, Liban : traces de civilisations anciennes/1Visite à quelques sites remarquables

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Articles sur Syrie/Liban

Ce thème comprend les articles suivants :

– Syrie : brève histoire

– Syrie : les gens

– Syrie : Chrétiens et Christianisme

– Syrie : monastères et lieux de culte chrétiens/1

– Syrie : monastères et lieux de culte chrétiens/2

– Syrie/Liban : traces de civilisations anciennes/1

– Syrie/Liban : traces de civilisations anciennes/2

– Syrie : promenades entre mer, montagne et désert

– Syrie : Kfarbou, regards sur une communauté chrétienne


La Syrie et le Liban dans l’Antiquité et au Moyen-Âge

Le Proche-Orient, notamment les pays appelés aujourd’hui Syrie et Liban, est le berceau de quelques-unes des plus anciennes civilisations au monde; tout au long de son histoire cette région vécut des bouleversements qui eurent pour conséquence une diversité des formations étatiques et une discontinuité dans l’histoire culturelle.

Le territoire syro-libanais est habité depuis l’âge de la pierre : les archéologues ont trouvé des restes d’habitations permanentes le long du fleuve Euphrate datant de 10000 ans av.JC. Des traces d’établissements urbains datant du IVe s. av.JC ont été retrouvées près de Damas.

Une des plus anciennes villes au monde, Ougarit, capitale du royaume homonyme, située dans la région de Lattaquié, fut fondée vers 6500 av.JC. Se retrouvant placée entre les Hittites au Nord, les Assyriens à l’Est et les Egyptiens au Sud, elle joua un rôle important dans les échanges commerciaux.

Situés dans une région à la croisée de grands empires (Babylone, Grèce, Perse, Rome, Byzance, Arabie et Turquie ottomane), Syrie et Liban connurent successivement l’hellénisation, la romanisation, la christianisation, l’influence perse, byzantine et la culture islamique des Arabes et des Turcs ottomans.

Tout en étant géographiquement proches, Syrie et Liban divergent cependant par certains aspects de leurs histoires. 

Avant 1920, le nom « Liban » désignait un territoire comprenant le Mont-Liban, son littoral maritime, ainsi que les plaines de la Bekaa et du Akkar tout au Nord. En 1920, après la défaite de l’Empire ottoman à l’issue de la Première Guerre mondiale, Français et Britanniques créèrent l’Etat dit du Grand-Liban. 

Le nom « Syrie » apparut pour la première fois dans l’Antiquité, en grec, et se retrouva ensuite dans l’usage officiel romain et byzantin ; il disparut au VIIe s. avec la conquête arabe, mais continua à être utilisé en Europe, spécialement lors de la Renaissance.

Dans le monde arabe et musulman, la région appelée Syrie portait le nom de Cham, qui était aussi celui de la capitale, Damas. En 1865, sous les Ottomans, Syrie était le nom officiel du vilayet 1/ de Damas. Après l’établissement du mandat français en 1920 et le redécoupage artificiel du Proche-Orient jadis ottoman entre France et Grande-Bretagne, Syrie devint le nom d’un Etat sous protectorat français. 

L’histoire de la Syrie est fortement déterminée par sa situation géographique au Proche-Orient et son environnement politique. Située entre la Méditerranée, la Mésopotamie, les mondes perse, égyptien et indien, le Caucase, l’Asie mineure, elle est traversé par d’importantes voies commerciales reliant l’Extrême-Orient (Chine, Japon), l’Inde et l’Europe, notamment la Route de la Soie.

Les recherches archéologiques prouvent que 8000 ans avJC, à Abu Hurayra près du Lac Assad, dans le Nord-Est de la Syrie débutèrent la sédentarisation des populations et l’agriculture. Dès le troisième millénaire avJC, le travail du cuivre et du bronze se développa, on édifia des constructions rectangulaires qu’on munit d’ornements géométriques, on créa des objets en céramique et la région connut un important essor civilisationnel et économique. La fin du Néolithique, marquée par la sédentarisation et la culture de la terre, connut aussi des préoccupations métaphysiques qui débouchèrent sur les croyances religieuses, les sépultures et la construction de lieux de culte, ainsi que le développement de l’art.

La Syrie antique s’étendait sur un territoire plus grand que l’Etat actuel ; ses premiers habitants semblent être venus de la péninsule arabique. Toutefois, tout au long de son histoire, elle a été traversée par de nombreux peuples voisins qui y ont fondé des royaumes. Parmi ceux-ci il faut rappeler les Egyptiens (XVIe s. avJC), les Assyriens (XVIII-XVII s. avJC) , les Hittites (XIV-X s. avJC), le royaume araméen de Damas (XII-VIII s. avJC) reconquis par les Assyriens en 732 avJC, les Perses (539-333 avJC), la période hellénistique consécutive à la conquête d’Alexandre (333 avJC), puis les Séleucides. En 64 avJC, après sa conquête par Pompée, la Syrie devint une province romaine ; en 395 apJC, lors de la division des Empires, la Syrie fut rattachée à l’Empire d’Orient (Byzance), puis conquise par les Arabes sassanides en 636 ; en 661 la dynastie omeyyade prit le pouvoir, faisant de la Syrie un califat dont Damas devint la capitale. A leur tour, en 750, les Omeyyades furent remplacés par les Abbassides; ceux-ci établirent leur capitale à Baghdad. La dynastie des Fatimides succédaux Abbassides mais fut vaincue en 1071 par les Turcs seldjoukides qui occupèrent la Syrie. Cent ans plus tard, ce sont les Ayyoubides du sultan Saladin qui prirent le pouvoir en Syrie et se battirent avec succès contre les Croisés. En 1260, à la chute de la dynastie ayyoubide, les Mamelouks, ayant battu les Mongols dont les incursions avaient abouti à la prise d’Alep et de Damas, s’établirent en Syrie. Les nouveaux conquérants  fondèrent un sultanat qui dura jusqu’en 1516, lorsque la Syrie fut prise par les Turcs ottomans; le pays resta ottoman jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale.

La conquête arabe mise à part, deux phénomènes importants eurent lieu en Syrie. L’un est la naissance et l’extension du christianisme, la Syrie devenant l’un des centres où la nouvelle religion connuson plus grand essor. L’autre est l’arrivée des Croisés européens, au XIe siècle, qui créèrent sur la façade maritime de la Syrie et du Liban divers Etats chrétiens appelés Etats francs ou Etats latins d’Orient. En fait, il s’agit de fiefs occupés à l’issue de plusieurs campagnes militaires, dirigés par des seigneurs occidentaux : principauté d’Antioche, comté de Tripoli et royaume de Jérusalem. Les Croisés perdront ces possessions entre 1268 et 1291, vaincus par les Arabes ayyoubides et les Mamelouks.

La région appelée aujourd’hui Liban, comprenant des sites portuaires, de petites plaines, la grande vallée de la Bekaa et un arrière-pays de montagnes, était également peuplée depuis la préhistoire. Au IIIe millénaire, la côte entretint de nombreux contacts avec la Mésopotamie, la Syrie du Nord et l’Egypte. En 5000 avJC environ fut fondée la cité de Byblos (actuellement Jbeil), important centre commercial et l’une des plus anciennes cités connues.

Entre 1200 et 300 avJC, la civilisation phénicienne comprenant plusieurs cités-Etats indépendantes (Ougarit, Byblos, Sidon, Tyr, l’île d’Arwad, Akka, etc.) se fixa au Liban. Les Phénicien, qui inventèrent un alphabet original, étaient d’excellents navigateurs, artisans et commerçants.

Dès le IIe et surtout au Ier millénaire avJC, le Liban phénicien fut menacé par l’expansion des grands empires environnants : Egypte, Assyrie, Babylone, Perse. En 333 avJC, les conquêtes d’Alexandre le Grand apportèrent à la région des influences hellénistiques; au Ier siècle avJC, c’est Rome qui conquit le pays. Au IVe siècle apJC, l’Empire romain d’Orient ou Empire byzantin prit la relève de Rome.

A partir du IIe siècle apJC, le Liban fut progressivement christianisé, quoique de façon moins intense que la Syrie voisine. Lors de la conquête par les Arabes omeyyades au VIIIe siècle apJC, ces derniers respectèrent la religion chrétienne. Les chrétiens maronites chassés de Syrie purent s’établir dans la montagne libanaise, de même que les Druzes, musulmans dissidents. 

Au XIe siècle apJC, les Croisés atteignirent le Liban et y fondèrent les Etats latins d’Orient, le Nord appartenant au Comté de Tripoli (Tarabulus), le Sud  – avec Tyr (Sur), Beyrouth (Bayrut) et Sidon (Sayda) –  relevant du Royaume de Jérusalem. 

Les chrétiens maronites aidèrent les Croisés lors de leurs luttes contre les Arabes; ainsi, lors du retour des musulmans à la fin du XIIe siècle et la reconquête par l’Islam des États latins d’Orient, dès 1260 les chrétiens subirent des persécutions de la part des Mamelouks égyptiens. Ceux-ci s’étaient rendus maîtres du pays après avoir défait les envahisseurs mongols et leur règne dura jusqu’au début du XVIe siècle.

En 1516, la victoire du sultan ottoman Sélim Ier sur les Mamelouks engloba la Syrie et le Liban dans l’empire ottomanLe Liban devint l’apanage de grandes familles latifundistes de diverses orientations religieuses. La domination ottomane dura jusqu’au démembrement de l’Empire à fin de la Ie Guerre mondiale; Syrie et Liban passèrent ensuite dans la sphère d’influence de la France.

Dans leurs frontières actuelles, les Etats appelés de nos jours Syrie et Liban n’existent que depuis 1943/46, lorsque le mandat français prit fin.


Quelques sites datant de l’Antiquité et du Moyen-Âge

La guerre toujours en cours n’a pas permis à l’auteur de ces lignes de visiter quelques-uns des sites anciens les plus importants de la Syrie, comme Palmyre, Dura Europos, Mari, Bosra, Qalah Siman, Qalb Lawzah, Apamée, Ebla.

Concernant le Liban, nous décrirons le site antique de Byblos, ainsi que le site romain de Baalbek/Héliopolis. Pour la Syrie, nous décrirons un site antique, Ougarit, deux sites romains (Damas Via Recta, Jablah), deux sites musulmans (Mosquée des Omeyyades de Damas, Grande Mosquée de Hamah) et deux sites moyenâgeux (Château de Saladin, Krak des Chevaliers). 

La description et les photos de Ougarit, Jablah et Damas Via Recta ne font pas partie de cet article, mais peuvent être visualisées dans l’article « Syrie : brève histoire ».

La description et les photos de la Grande Mosquée de Hamah, de la Mosquée des Omeyyades de Damas, du Château de Saladin et du Krak des Chevaliers peuvent être visualisées dans l’article « Syrie, Liban : traces de civilisations anciennes/2 ».


Liban : deux sites antiques, Byblos et Baalbek

Byblos (Jbeil)

Située au bord de la Méditerranée, à environ 40 km au Nord de Beyrout, Byblos est considérée comme l’une des plus vieilles cités au monde. Le site a été redécouvert en 1860 par Ernest Renan, lors d’une mission archéologique au Liban et en Syrie. Les fouilles entreprises à partir des années 1920, ont livré des objets de valeur permettant de suivre l’évolution de la cité à travers les millénaires. Le nom Byblos (« papyrus » en grec) semble venir du rôle joué par la cité dans le commerce de cette matière que Byblos importait d’Egypte pour la revendre ensuite aux Grecs.

s 6000 avJC, des hommes du Néolithique, pêcheurs, agriculteurs et éleveurs, s’installèrent sur le promontoire de Byblos. Au IVe millénaire avJC, Byblos, devenue une importante ville commerciale, pratiquait leéchanges avec la Méditerranée, notamment l’Egypte et la Crète, ainsi qu’avec la Mésopotamie.

Dès le milieu du IIIe millénaire, Byblos fut colonisée par les Phéniciens. Dès 2150 avJC, la cité fut occupée par le peuple sémitique des Amorrites, originaire de Syrie, puis, vers 1750 avJC par les Hyksôs égyptiens. Après la prise de Byblos par les Croisés, en 1104 apJC, ces derniers fortifièrent le site en l’entourant d’une muraille et construisirent une citadelle sur les vestiges des remparts de la ville antique. La citadelle subit plusieurs destructions et remaniements attribués aux Mamelouks, puis aux Ottomans qui se succédèrent à Byblos après le départ des Croisés à la fin du XIIIe siècle.

De nos jours, outre la citadelle des Croisés, le site englobla cité antique, une église génoise, une mosquée et un souk.

En 1922, l’effondrement d’une partie de la falaise maritime mit au jour la nécropole royale de Byblos, qui livra un mobilier funéraire très riche. La nécropole se compose de neuf tombes à puits creusées dans la falaise, avec leurs sarcophages. On découvrit parmi ces tombes celles droi Abi Chemou et de son fils Ip Chemou Abi (1990-1880 avJC), enterrés avec leurs armes et bijoux, dont certains étaient des cadeaux envoyés par les souverains égyptiens de la XIIe dynastie. Une autre tombe, connue pour son inscription en écriture phénicienne linéaire, abritait les restes du roi Ahiram (1000 avJC).

Une source, dite aïn el-malak (source du roi), située dans la dépression naturelle entre les deux collines du promontoire, fournissait l’eau aux habitants de Byblos. Profonde de 19 à 22 m, la source fut maintenue accessible à toutes les périodes historiques par des murs de soutènement, des escaliers et dechemins en spirale.

Byblos pratiquait le culte de la divinité égyptienne Osiris. D’après une légende rapportée par l’écrivain grec Plutarque (IIe siècle apJC), les servantes du roi de Byblos auraient rencontré la déesse égyptienne Isis près de la source et l’auraient conduite au palais royal, où elle aurait retrouvé le corps de son époux Osiris.



Baalbek (Balabak) / Héliopolis et la carrière romaine

La carrière romaine située près du site de Baalbek/Héliopolis au Libancontient des blocs de pierre considérés comme les plus longs monolithes jamais taillés et transportés par l’homme. Le plus fameux, Hajjar al-Hibla (pierre de la femme enceinte ou pierre du Sud), de 21 m de long, 4,5 m de large et 4,20 m de haut, a été laissé dans la carrière à son emplacement d’origine. Un nouveau mégalithe, de 19,6 m de long, 6,1 m de large et 5,6 m de long a été découvert en 2014 par une équipe d’archéologues libano-allemands.

Cette carrière servit à la construction des édifices romains de Baalbek/Héliopolis, notamment les façades du podium du temple de Jupiter. L’extraction de chaque mégalithe était effectuée au pic en creusant des tranches délimitant le bloc sur ses quatre côtés. Des rondins étaient ensuite glissés sous chaque mégalithe au fur et à mesure du détachement du bloc de la roche environnante. Le transport des blocs avait lieu au moyen de 16 cabestans et poulies placés symétriquement le long de la rampe aménagée de la carrière jusqu’à l’emplacement prévu dans la construction. Chaque machine était opérée par 32 ouvriers, soit un total de 512.

L’équipe archéologique mit également à jour quinze grottes de la période romano-byzantine creusées dans le rocher ; elles contiennent des aménagements dits en arcosolium 3/ recouvrant des sarcophages en pierre creusés dans le rocher. Les grottes avaient été visitées par des pilleurs de tombes, mais on put étudier le matériel céramique resté en place. Son étude révéla que la nécropole fut régulièrement réoccupée durant la période mamelouke et jusqu’au XVe siècle.



Le sanctuaire de Baalbek se trouve au centre de la vallée de la Bekaa au LibanIl comporte diverses ruines gréco-romaines, à savoir letemplede Bacchus, de Jupiter et de VénusLa construction du sanctuaire d’Héliopolis fut décidée par l’empereur Auguste vers 14 avJC; elle se prolongea jusqu’au IIIe siècle apJC. sous Néron, Trajan, Hadrien et Antonin le Pieux.

Le site de Baalbek était habité depuis le Néolithique, bien avant l’arrivée des Romains. A la fin du IIIe millénaire avJC, la ville, fondée par les Phéniciens, célébrait le culte du dieu Baal. Appelée Heliopolis à l’époque hellénistique, Baalbek fut remaniée selon les critères architecturaux classiques romains à partir du Ier siècle apJC, autour de deux grandes artères se croisant 2/.

Le majestueux Temple de Jupiter, construit au Ier siècle apJC, contientt une cella 4/ et une Grande Cour entourée de portiques à colonnes; au IIe et IIIe siècles ont y ajouta une entrée monumentale à colonnes  flanquée de tours (Propylées), une avant-cour semi-circulaire et une Cour Hexagonale servant d’avant-cour à la Grande Cour.

Baalbek subit plusieurs tremblements de terre (le dernier, en 1759, provoqua l’effondrement de trois des neuf colonnes du temple de Jupiter), ainsi que des destructions et remaniements lors d’invasions (Mongols) et de changements de société (passages du paganisme au christianisme, puis à l’islam). A l’époque des Croisades, à la fin du XIIe siècle, les temples de Jupiter et de Bacchus furent transformés en forteresse par les Arabes et pourvus d’une muraille construite à partir des murs du temple de Jupiter.

Le temple de Venus et celui des Muses, situés au-delà d’une rue à colonnades, furent bâtis respectivement au IIIe et au Ier siècle apJC. Pendant la période paléo-chrétienne, le Temple de Vénus, avec sa forme pentagonale très originale, fut transformé en église consacrée à Sainte Barbe. Il reste actuellement, à l’extérieur du Temple, des pierres romaines et chrétiennes s’entremêlant.

Le temple le mieux préservé du site, avec ses dimensions monumentales, fut construit à la fin du IIe siècle apJC. Probablement consacré à Bacchus, il est entouré d’un portique à colonnes corinthiennes et comporte une cella également pourvue d’élégantes colonnes.



1/Le vilayet est une subdivision administrative de l’Empire ottoman ;

2/ Le cardo et le decumanus définissent dans la ville romaine les deux axes (respectivement Nord-Sud et Est-Ouest) structurant le centre ;

3/Un arcosolium est un type de tombe utilisé depuis l’Antiquité sous forme de plusieurs niches semi-circulaires. Ce type d’inhumation est répandu dans toutes les nécropoles de Baalbek;

4/ La cella est un local fermé à l’intérieur d’un temple, dédié à la divinité à laquelle le temple était consacré.


Cosimo Nocera est historien et guide du Musée national de Bangkok. Il a vécu et travaillé en Italie, Suisse et en Amérique andine (Pérou, Equateur et Bolivie). Après un long séjour en Asie du Sud-Est, il vit actuellement en Suisse française.