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Syrie : Kfarbou, regards sur une communauté chrétienneL'âme de la communauté est le père Nabil

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Articles sur Syrie/Liban

Ce thème comprend les articles suivants :

– Syrie : brève histoire

– Syrie : les gens

– Syrie : Chrétiens et Christianisme

– Syrie : monastères et lieux de culte chrétiens/1

– Syrie : monastères et lieux de culte chrétiens/2

– Syrie/Liban : traces de civilisations anciennes/1

– Syrie/Liban : traces de civilisations anciennes/2

– Syrie : promenades entre mer, montagne et désert

– Syrie : Kfarbou, regards sur une communauté chrétienne


Kfarbou ou Kafr Buhum

Kfarbou ou Kafr Buhum est une bourgade comptant 13’000 habitants environ avant la guerre d’agression de 2011. Un certain nombre de personnes ont émigré depuis, d’autres sont revenues au pays ; il n’est donc pas aisé de donner le chiffre de population actuel.

Le site est peuplé depuis l’âge des cavernes, la ville existerait depuis 2000 ans.

Kfarbou est située à 10 km au Sud-Est de Hama et à 80 km à l’Est du port de Tartous, dont elle est séparée par la chaîne de montagnes Jabal al Ladhiqiyah ; sa position dans la vallée du fleuve Oronte lui assure une agriculture prospère produisant du maïs, du coton, des betteraves à sucre, des olives et autres cultures. A proximité de Kfarbou sont implantées plusieurs cimenteries ; la pierre blanche de ses carrières est exploitées dans la construction.

La majorité de la population est chrétienne, de rite melkite grecque catholique. La légende dit qu’une tombe de St. Georges se trouverait dans l’église du même nom.

Au centre du bourg se dresse une grande croix éclairée la nuit, aux couleurs changeantes.

Le père Nabil est le responsable de la paroisse grecque catholique ;  son église de St. Elie comprend aussi une école, un centre d’accueil pour handicapés, jeunes et vieux. Elle s’occupe d’animations pour les jeunes, de divers projets d’utilité publique. Très vite, on s’aperçoit que le père Nabil est l’âme de la communauté ; dans les rues tout le monde le salue et il a toujours une bonne parole pour ceux qui s’adressent à lui.

Le samedi matin a lieu la messe des enfants, l’église étant trop petite pour accueillir enfants et adultes en même temps. 

A la messe, les enfants sont encadrés par de jeunes filles qui leur assignent leurs places, les surveillent durant l’office, les mettent en colonne à la sortie. Après la messe, les enfants ont un moment de détente, ils chantent et dansent dans la cour de l’église.

Dimanche matin se tient la messe de adultes ; à l’heure de la messe, l’église est pleine. Près de l’iconostase on voit une belle icône représentant Saint Georges terrassant le dragon. La messe est dite en arabe, le rite est byzantin, les chants reprennent partiellement des mélodies connues dans le monde catholique. Curieusement, peut être en hommage aux Suisses présents à la messe, l’officiant parle du Frère Klaus, ermite du XVe siècle et saint patron de la Suisse. Il est évident que les gens participent massivement et activement à la vie religieuse de leur communauté, assister à la messe et s’occuper d’activités paroissiales semblant aller de soi.

Le séjour à Kfarbou est émaillé de visites à diverses activités typiques de l’endroit, comme le pressoir d’olives, d’où vient une partie de l’excellente huile d’olive dont la Syrie est le plus important producteur du Proche-Orient. Puis l’atelier d’un peintre d’icônes qui a étudié longtemps en Grèce et prépare une image du baptême du Christ pour une église des environs. La soeur du père Nabil et sa famille exploitent une entreprise agricole. Ils sont en train de distiller leur arak ou raqi, boisson connue dans tout le Proche-Orient, à base d’eau de vie de vin et d’anis, tirant entre 50 et 70°, qui ressemble un peu au pastis français. La distillation demande une présence constante pendant 15 heures au moins. La famille étendue est attablée devant sa ferme, sous une pergola, et se consacre aux agapes usuelles lors de la distillation. Ici on grille des brochettes d’agneau, là des épis de maïs, la table croule sous les plats  aussi divers que succulents.

Un soir, à la Maison de commune, on projete le film du cinéaste syrien Bassel al-Khatib, « Le père », qui a reçu plusieurs prix aux festivals de Delhi, Oran et Alexandrie. Cette production, tournée dans la région de Kfarbou, sortie sur les écrans en août 2018, raconte les péripéties d’un groupe de chrétiens persécutés par les takfiristes au plus fort de la guerre. La pellicule, tournée avec une certaine retenue et porteuse d’un message d’espoir, déclenche dans le public de fortes émotions qui se traduisent par des applaudissements nourris.

Les jeunes, quant à eux, ont organisé une soirée dansante dans un restaurant. Ils sont au moins 75 à y participer, filles et garçons entre 16 et 19 ans, avec une nette prépondérance des premières. C’est une belle jeunesse, qui boit des limonades et parfois une bière, qui se réjouit du bon repas préparé par le restaurateur, fume sa chicha, danse sur des chants, rythmes et rondes arabes. La soirée, animée et gaie, peut paraître quasiment surréaliste comparée à l’image que la presse grand courant présente couramment de la Syrie.

Le père Nabil est marié et père de deux filles. L’une apprend l’allemand et se destine à des études de pharmacie, l’autre apprend le français et souhaite poursuivre ses études dans un pays francophone.

En discutant avec le père Nabil sous sa pergola, d’où pendent d’excellente grappes  de raisins, on apprend beaucoup sur le pays. Tout en affirmant que la plupart des journalistes occidentaux parlent, à propos de la Syrie, de choses qu’ils ne connaissent pas, l’ecclésiastique souligne qu’en matière d’expression politique il dispose d’une totale liberté de parole.

Pourquoi Kfarbou n’a-t-elle pas ou peu été touchépar la guerre ? Parce-que chaque habitant possède et cultive son propre terrain (le père Nabil et sa famille y compris) et n’a pas cédé aux sirènes de la rébellion. Comme conséquence de la guerre, les hommes entre 15 et 30 ans se sont faits rares et de nombreuses jeunes filles ont de la peine à se marier. La guerre a tout de même laissé des traces : il y a d’une part les martyrs civils et militaires assassinés ou tombés au combat, dont les portraits figurent en place publique, et d’autre part les émigrés dans la force de l’âge ayant préféré se réfugier à l’étranger plutôt que de faire leur service militaire.

Tout en déplorant la guerre cruelle et destructrice imposée à la Syrie par l’agression étrangère, le père Nabil a bon espoir que les ressources morales du peuple syrien, associées à l’aide de ses alliés, conduiront à une fin prochaine des hostilités et à une renaissance du pays.

Les relations avec les autres courants chrétiens, les musulmans, les administrations communale, provinciale et nationale sont bonnes ; malgré la guerre la coexistence continue à se dérouler harmonieusement.

Les relations avec les Sunnites de Hama sont excellentes, on se voit régulièrement, on discute, on prend des repas ensemble.

Somme toute, un tableau qui étonnera certains lecteurs, mais qui traduit assez fidèlement la situation actuelle de la Syrie, où la vie normale côtoie les apories de la guerre.



 

Cosimo Nocera est historien et guide du Musée national de Bangkok. Il a vécu et travaillé en Italie, Suisse et en Amérique andine (Pérou, Equateur et Bolivie). Après un long séjour en Asie du Sud-Est, il vit actuellement en Suisse française.

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