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Les Khmer en Thaïlande/2Les prasat : symbolisme religieux, architecture, construction et distribution géographique

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Symbolisme religieux des prasat

Les prasat ou temples Khmer, tous édifiés dans un but religieux, étaient construits en matériaux durables (brique, pierre, latérite); d’autres édifices, y compris les palais royaux et les superstructures de sanctuaires, bâtis en bois, ne résistèrent pas aux atteintes du temps.

Réalisés entre les VIIe et XIIIe siècles, les prasat étaient consacrés au culte hindouiste; à partir du XIIe siècle, sous Jayavarman VII, au culte  bouddhiste mahayana. Plus que le plaisir esthétique, c’est l’exercice du culte selon les règles strictes des normes religieuses qui motivait la construction des prasat.

Au Cambodge, pays indianisé, l’hindouisme resta prédominant jusqu’à la fin du XIIe siècle, lorsqu’il céda la place au bouddhisme mahayana.

Le culte hindouiste était célébré principalement en l’honneur de Vishnou et Shiva, deux divinités appartenant à la Trimurti indienne.

Vishnou, dit le Protecteur, était muni de quatre bras portant respectivement une conque, un disque, une masse et un lotus. Il était chargé de maintenir l’harmonie de l’univers; l’intérêt qu’il portait aux questions humaines l’amenait à revêtir des formes terrestres diverses, dites avatars. Après Krishna, Rama (héros de l’épopée indienne Ramayana) est l’avatar le plus connu; d’autres formes d’avatars étaient liées à certains animaux (lion, tortue, poisson, etc.).

Shiva, connu comme le Destructeur, était chargé de terminer par une danse de destruction un kalpa ou cycle de vie de l’univers,  s’étendant sur 4’372 millions d’années; la fin d’un cycle était immédiatement suivie par une renaissance selon le modèle conçu en rêve par Vishnou et mis en pratique par Brahma, troisième dieu de la Trimurti. Shiva était vénéré sous la forme d’un pilier phallique dit linga, inséré dans un piédestal carré dit yoni, représentant le principe féminin. Ensemble, linga et yoni symbolisaient la fertilité et donnaient lieu à des cérémonies religieuses célébrées par les brahmanes. Avec son épouse UmaShiva était aussi représenté  chevauchant le taureau Nandi.

Brahma, dit le Créateur, reconnaissable à ses quatre faces, chacune dirigée vers un point cardinal, ne faisait pas l’objet d’un culte particulier.

Parmi les autres divinités hindouistes, mentionnons Indra, dieu organisateur, souvent présenté à cheval sur un éléphant à trois têtes nommé Airavata (Erawan en thaïlandais); Ganesh, fils de Shiva et de Parvati, mi-homme mi-éléphant; Surya, dieu du Soleil d’origine persane.

Ce panthéon est complété par quelques créatures mythologiques : le Naga, serpent à plusieurs têtes dont le royaume se situe sous l’eau; l’oiseau Garuda, ennemi mortel du Naga, monture de Vishnou; le Kala, démon gardien se dévorant lui-même; le Simha, ou lion; le Makara, monstre marin au corps de crocodile et à la gueule éléphantesque; l’Hamsa, ou oie sacrée.

C’est la version Mahayana ou Grand Véhicule du bouddhisme qui commença à se généraliser au Cambodge à partir du XIIe siècle, avec l’accession au trône de Jayavarman VII. Soulignons cependant que, dans la région de Khorat, ce culte était présent bien avant cette date et qu’il y revêtait, pendant une plus longue période, une plus grande importance qu’au Cambodge des plaines.

Le bouddhisme Mahayana est caractérisé par la figure du bodhisattva ou « Bouddha en devenir », personne ayant renoncé à l’éveil bouddhique pour assister ses congénères sur la voie du nirvana : le plus connu est Lokesvara/Avalokitesvara.

Mentionnons également l’apparition, après le VIIe siècle, du tantrisme présent notamment au prasat de Phimai. Cette doctrine ésotérique, comprenant de nombreux rituels magiques et mystiques, est basée sur la shakti, ou pouvoir féminin, jouant un rôle déterminant dans l’univers. Son développement bouddhique est dit Vajrayana.

Le symbolisme dans la constructions des temples

Rappelons que le modèle des tours khmer est à chercher dans l’art chola de l’Inde du Sud (IX-XIIIe siècles). Les Khmer ont donné à ce modèle une structure architecturale propre, particulièrement élégante, qui a persisté après 1432, date de la chute de leur empire. Ce sont les Siamois d’Ayutthaya qui ont repris et façonné la tour khmer sous la forme du prang.

Le haut symbolisme qui entoure les temples Khmer se manifeste notamment dans leur architecture, qui cherche à reproduire sur terre l’ordre cosmologique de l’univers. Les grands temples du plateau de Khorat, Phimai, Phanom Rung, Preah Vihear et Muang Tam, sont des modèles de l’univers sculptés dans la pierre. Dans ce domaine, hindouïsme et bouddhisme se rejoignent car ils partagent les mêmes symboles : avec ses cinq sommets, le Mont Mérou himalayen, axe du monde et demeure des dieux, est entouré de chaînes montagneuses et d’océans; au-dessus se trouve le ciel, en-dessous l’enfer.

Cela explique le choix fréquent de collines pour l’implantation des temples (p.ex. Phanom Rung, cf. art. Khmer/3), entourés de baray (étangs) symbolisant les océans et clos par des enceintes symbolisant les chaînes montagneuses.

Au centre d’un temple se dressent une, trois ou cinq tours : le prasat de Sikhoraphum, par exemple, présente une tour principale entourée de quatre tours plus petites. Sous la tour principale se trouve le sanctuaire proprement dit (cella). L’entrée principale de nombreux temples est précédée d’un pont aux nagas, le naga représentant l’arc-en-ciel ou le lien entre ciel et terre. On trouve également des bâtiments secondaires dits bannalai appelés bibliothèques faute de plus amples renseignements sur leur fonction.

Les Khmer ne nous ont pas laissé de traité d’architecture, mais on suppose que les dimensions ou proportions des constructions, leur orientation, étaient inscrits dans un système d’une grande précision.

Les matériaux de construction

Les matériaux de construction utilisés par les Khmer étaient la brique, la pierre, la latérité et le bois; les cadres de portes et fenêtres, ainsi que les linteaux et piliers, étaient en pierre. Généralement, les anciennes structures en bois n’ont pas supporté les atteintes du temps et ne sont plus visibles.

La brique, de petites dimensions, permettait un travail fin et détaillé et se prêtait bien à la sculpture. Le liant était un mortier à base végétale.

La pierre, plus difficile à transporter, à mettre en place et à travailler, demandait un effort et un savoir-faire plus importants.

La latérite, sorte d’argile riche en fer, était d’une extraction aisée et se laissait facilement découper en briques; exposée à l’air et au soleil, elle durcissait et se prêtait bien aux constructions. Elle était toutefois difficile à sculpter, ce qui explique l’utilisation du stuc pour la décoration. Sous Jayavarman VII, cette technique était très répandue dans la région de Khorat et ailleurs : en témoignent p. ex. le temple Muang Singh (cf. art. Khmer/5) et les chapelles d’hôpitaux et d’auberges.

Carrières d’extraction de la pierre

Dans les collines près de la frontière cambodgienne et dans d’autres régions de la chaîne des Dangrek on a retrouvé des sites d’où les constructeurs de prasat extrayaient la pierre pour la construction et la sculpture des linteaux, piliers et cadres de portes et fenêtres. Si Khiu et Ban Kruat, dans la province de Buriram, sont deux carrières bien connues. De nos jours encore on peut observer les entailles et les blocs de pierre rectangulaires, partiellement coupés, destinés à être sciés à la base pour servir de matériau de construction ou pour la sculpture.

Les routes royales

Les monarques khmer ont mis en place un important réseau routier irradiant à partir de leur capitale Angkor. Ce réseau est mentionné dans plusieurs inscriptions. C’est notamment sous le roi Jayavarman VII que ces routes ont été dotées d’un système de constructions comprenant des temples, des ponts, des auberges avec leurs chapelles et hôpitaux.

L’une des routes les plus importantes était celle qui, sur 225 km, en passant par le col de Ta Muen dans les montagnes Dangrek, mettait en relation Angkor avec Phnom Rung et Phimai.

D’autres routes importantes menaient, à l’Est vers Beng Mealea et Preah Khan, au Nord-Est vers Koh Ker et le Champa, au Sud-Est vers Kampong Thom et Sambor Prei Kuk, à l’Ouest vers Banteay Chhmar.

Ces routes avaient des buts à la fois militaires et commerciaux; il n’en reste que peu de traces visibles si ce n’est quelques ponts et la suite de constructions qui les flanquaient. L’exemple le mieux conservé, sur le plateau de Khorat, est la suite de constructions de Ta Muen Thom (temple d’auberge et hôpital), Ta Muen Toch (chapelle d’hôpital) et Ta Muen (chapelle d’auberge) (cf. art. Les Khmer en Thaïlande/4).


Distribution géographique des prasat

La grande majorité des prasat se situe dans la partie méridionale du Nord-Est thaïlandais, notamment dans la vallée du fleuve Mun. Ils suivent grosso modo une ligne allant de Chaiyaphum à Ubon Ratchathani, en passant par Nakhon Ratchasima, Buriram, Surin et Si Saket.

On trouve aussi un certain nombre de temples près du versant Nord de la chaîne des Dangrek, voire directement sur sa crête, frontière actuelle entre la Thaïlande et le Cambodge.

Le temple situé le plus au Nord du plateau de Khorat est Prasat Narai Jaeng Waeng, près de Sakhon Nakhon.

D’autres temples ont été retrouvés dans la vallée du fleuve Chao Phraya, Lavo (Lopburi), Sukothai et Si Satchanalai. Les temples situés le plus au Nord de la plaine centrale sont Wat Chao Chan et Wat Mahathat, près de Si Satchanalai.

Les prasat situés le plus à l’Ouest sont Muang Singh, près de Kanchanaburi, et Wat Kampaeng Laeng, près de Phetchaburi.

Au Laos (Musée national et Temple-musée Vat Phra Kaeow à Viang Chan) on trouve des témoignages de la présence khmer dans la vallée du Maekong : stèle du roi Jayavarman VII (XIIIe siècle) où ce dernier mentionne les constructions qu’il a faites (temples, auberges, hôpitaux), statuettes, etc. De plus, le Vat Si Muang abrite un petit sanctuaire consacré à une héroïne locale, entourant ce qui ressemble à une chapelle khmer en latérite, à moitié effondrée. Un temple parmi les plus importants, Vat Phu, se trouve au Laos méridional, à la frontière Nord-Est de l’Empire, dans la vallée du Maekong. De plus, des recherches récentes ont décelé les traces de sites pré-angkoriens dans les provinces méridionales laotiennes de Champasak, Attapeu, Saravane et Savannakhet.

La distribution géographique des temples connus correspond au territoire de l’empire khmer dans son extension maximale, aux XIIe et XIIIe siècles.


 

 


 

Cosimo Nocera est historien et guide du Musée national de Bangkok. Il a vécu et travaillé en Italie, Suisse et en Amérique andine (Pérou, Equateur et Bolivie). Après un long séjour en Asie du Sud-Est, il vit actuellement en Suisse française.

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