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Peintures médiévales d’églises : curiosités/1Le catéchisme sur les murs, introduction/9

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Les peintures des murs d’églises

Les peintures murales sont le centre d’intérêt de notre série d’articles « Le catéchisme sur les murs » ; plus précisément, nous nous intéressons aux peintures médiévales, sur une période allant dans les grandes lignes de la chute de l’Empire romain d’Occident (conventionnellement située au moment de l’abdication de l’empereur Romulus Augustulus, le 4 septembre 476) à la fin de l’Empire romain d’Orient (située au moment de la chute de Constantinople en 1453). 

La présente suite d’articles introductifs sert de mise en contexte à cette série, qui s’attache à montrer, souvent sous la forme d’articles thématiques ou historiques, quelques églises suisses, italiennes et françaises possédant des peintures murales médiévales.

Articles introductifs

1. Le christianisme et l’art. Pour ou contre l’image ? La Bible des pauvres 

2. Les Morts et les Vivants 

3. Les Saints : Saint Christophe, le Christ du Dimanche

4. Le Jugement Dernier, l’Enfer, la Gueule d’enfer, le Diable 

5. Le Purgatoire, le Paradis, les Anges

6. Thèmes liés à Marie : Notre Dame de la Miséricorde; Annonciation

7. Les Saints : Saint Nicolas de Flüe

8. La Trinité

9. Peintures médiévales d’églises : curiosités 1

10. Peintures médiévales d’églises : curiosités 2

11. Peintures anciennes d’églises

12. Plafonds peints d’églises médiévales

13. Les Saints : Saint Georges, Saint Michel

14. Les Saints : Saint Sébastien, Saint Martin

15. Les Saints : Saint Pierre, Saint Laurent

 

Un modèle ancien pour un personnage de bande dessinée

Kappel a.A./Zurich, Eglise de l’ancien monastère cistercien

Le monastère cistercien de Kappel am Albis (canton de Zurich) a été fondé en 1185 par les seigneurs von Eschenbach-Schnabelburg. Il a été pillé par les Suisses en 1443 et détruit par un incendie en 1493, puis reconstruit par l’abbé Ulrich. Son église a été décorée de fresques de 1350.

La chapelle Gessler de l’église contient des peintures offertes par la famille Gessler au XIVe siècle. Ces peintures mettent en évidence le blason de la famille surmonté de ce qui semble être un personnage, mais qui représente en premier un casque de chevalier avec visière : au-dessus le peintre a ajouté une tête de faucon pour symboliser l’ascendance noble de la famille Gessler.

Or, cette peinture présente une parenté évidente avec un personnage de la bande dessinée suisse du XXe siècle : Globi est un perroquet avec des traits humains inventé en 1932 par le dessinateur Robert Lips à la demande du directeur publicitaire des grands magasins Globus. Il a fait et fait encore l’objet de nombreux albums mettant en scène ses aventures.

Lips a vécu à Hausen am Albis, commune voisine de Kappel, où se trouve l’église de l’ancien monastère cistercien. Bien qu’il ne l’ait jamais admis, il est vraisemblable que pour inventer le personnage de Globi, le dessinateur se soit inspiré de l’écusson de la famille Gessler.

 

 

Un épisode de l’Enfer de Dante Alighieri

Campochiesa/Italie, Eglise San Giorgio

L’église San Giorgio de Campochiesa/Savona a été fondée par les Bénédictins au XIIIe siècle. Elle contient de belles fresques d’auteur inconnu datant des XIIIe et XVe siècle.

Parmi ces peintures figure un Jugement dernier de 1446 qui contient une scène intéressante extraite de l’Enfer de Dante Alighieri (1303-1321) ayant pour protagonistes le comte Ugolino della Gherardesca et l’archevêque Ruggieri degli Ubaldini.

En 1284, après avoir quitté le parti des gibelins pour rallier le groupe des guelfes, Ugolino prend le pouvoir à Pise. Il doit faire face à l’hostilité des gibelins avec à leur tête Ruggieri. S’étant rapproché d’Ubaldini pour des raisons d’opportunité politique, Ugolino voit son pouvoir diminuer. Il est arrêté en 1288. Ubaldini le fait enfermer avec quatre de ses descendants mâles dans une tour où il meurt de faim en mars 1289.

Dans son œuvre, Dante écrit :«Poscia, più che ‘l dolor poté ‘l digiuno.» (Enf. XXXIII, 72-75.) (Enfin, le jeûne fut plus fort que la douleur). Cette expression a donné lieu à la légende que le comte ait commis un acte de cannibalisme envers ses fils et neveux. Toutefois, il paraît que ce passage doive être interprété comme la mort du comte due à la faim alors que la mort de ses parents n’avait pas réussi à le vaincre.

Dante place Ugolino dans le dernier cercle de l’Enfer où se trouvent emprisonnés dans la glace les traîtres à la patrie. Il décrit Ugolino et son ennemi Ubaldini figés ensemble dans la glace. Le châtiment de l’archevêque est d’être dévoré sans cesse par celui qu’il a fait mourir de faim.

 

Insultes obscènes au Christ flagellé

Rossura/Tessin, Eglise Santissimi Lorenzo e Agata

L’église est ornée de peintures réalisées en 1463 par les peintres Cristoforo da Seregno avec l’aide de son neveu Nicolao. La série consacrée à la passion de Jésus montre un guerrier faisant un geste d’insulte au Christ.

Ce geste obscène, appelé fare le fiche en italien, correspond à insérer le pouce entre l’index et le moyen, tout en gardant les autres doigts serrés ; il est connu en Italie depuis le XIIe siècle.

Une peinture ayant le même thème avait été réalisée par Giotto en 1303-05

 

Momo/Novare, Santissima Trinità

Sur cette peinture, un bourreau se moque du Christ, qui va être flagellé, en lui tirant la langue. C’est l’atelier des Cagnola qui a effectué la fresque, datée du XVe siècle.

 

Vues de villes et paysages

Deux églises tessinoises : Sureggio, Santi Pietro e Paolo; Lugano, Santa Maria degli Angioli

Une vue de 1162 de la ville de Milan fortifiée est présente dans cette église ; la peinture est surmontée de l’inscription Mediolanum. A côté de la ville on voit une autruche avec l’inscription Strucio. Le rapport entre la vue de la ville et l’oiseau n’est pas connu.

Dans l’église Santa Maria degli Angioli, connue pour une peinture de la Crucifixion créée par Bernardino Luini (1529-32,) se trouve une vue de Jérusalem.

 

 

Oltingue/Alsace, église St Martin des Champs

Cette église du Sundgau offre une peinture extérieure du XVIe siècle  représentant une vue de ville fortifiée située au bord de l’eau : on distingue des tours fortifiées, des églises et des remparts. Il pourrait s’agir de la ville de Bâle, toute proche.

 

Porrentruy/Jura, église St Pierre

Fragment d’une ville fortifiée non identifiée.

 

Oberägeri/Zoug, Chapelle de l’ossuaire St Michael

Peinture représentant une ville fortifiée inconnue et un paysage rural avec des animaux domestiques au pâturage.

 

Gravedona/Como/Italie, Santa Maria del Tiglio

 

Breil/Brigels, Grisons, Suisse, caplutta Sogn Sievi

 

Wiesendangen/Zurich, église réformée

 

Maîtres des oeillets : des peintres inconnus signent leurs oeuvres d’une paire d’oeillets

Eglise des Cordeliers, Fribourg; Eglise française, Berne 

L’appellation «Maîtres des oeillets» désigne un groupe anonyme de peintres ayant oeuvré sur territoire suisse entre 1479 et 1510. Ils n’ont pas signé leurs œuvres par leur nom, mais en insérant dans les peintures deux oeillets coupés rouge et blanc. On attribue à ce groupe de peintres une trentaine d’oeuvres, toutes basées sur des thèmes sacrés.

La première peinture signée d’un couple d’oeillets se trouve dans l’église des Cordeliers, à Fribourg ; on suppose qu’elle a été réalisée en 1479, dans un atelier bâlois à Soleure (Bartholomäus Rutenzweig). Il s’agit de la plus grande oeuvre picturale conservée du Moyen Âge en Suisse.

A noter que les Maîtres des oeillets entretenaient de bonnes relations avec les ordres des Franciscains et des Dominicains.

D’autres ateliers ont été fondés à Zurich et Berne.

Dans les années 1480-90, Berne est considérée comme étant le centre des Maîtres, influencés par le style bâlois. On suppose que deux ateliers étaient alors à l’oeuvre, mais on ne connaît pas les noms de leurs membres. On parle d’un Maître Paulus (Paul Löwensprung), probablement originaire d’Alsace, comme d’un possible artiste de ce courant.

Comme dit plus haut, les ateliers des oeillets avaient de bonnes relations avec l’ordre des Dominicains ; il est significatif que les seules peintures bernoises conservées soient situées dans l’Église française, lieu de culte de l’ancien couvent des Dominicains aujourd’hui disparu.

A Zurich, des ateliers travaillaient dans un style proche et on suppose que le premier Maître des oeillets local était issu de la famille du peintre Ruedi Zeiner, dont deux de ses cinq enfants et trois petits enfants exerçaient également le métier de peintre. Une autre famille de peintres dont seraient issus les Maîtres est celle de Hans Leu et de son fils également prénommé Hans.

Se considérant des artisans et attribuant à leurs œuvres le rôle principal, les Maîtres des oeillets se sont abstenus d’y apposer leur signature, se limitant à y faire figurer les deux fleurs.

On a voulu voir dans le choix d’une signature florale un symbole de qualité, mais aussi l’appartenance des Maîtres des oeillets à une confrérie religieuse, consacrée au culte de Marie et de la passion du Christ.

 

La danse de Salomé devant le roi Hérode Antipas

Bubikon/Zurich, Maison des Chevaliers de l’Ordre de Malte 

La Maison des chevaliers est l’une des commanderies de l’Ordre de St Jean de Jérusalem (appelé aussi Ordre de Malte ou Hospitalier) en Suisse. L’ordre de St Jean, fondé au XIe siècle à Jérusalem, assume des fonctions d’accueil des pèlerins et des malades, ainsi que militaires dans le contexte des Croisades. 

C’est en 1192 que le comte Diethelm de Toggenbourg à permis l’installation de l’Ordre à Bubikon, dans le canton de Zurich. Les commanderies, la plupart du temps des domaines productifs, étaient sources de revenus pour l’Ordre, grâce aux dîmes et aux dons ; elles assuraient la production de biens alimentaires et l’élevage des chevaux nécessaires à la réussite des expéditions en Terre sainte.

Dans la Maison des chevaliers se trouvent diverses peintures datées de 1210, dont une représente la danse de Salomé devant Hérode Antipas.

Salomé est une princesse juive du Ier siècle apJC : dans le Nouveau Testament elle est protagoniste d’un épisode oú elle danse devant son beau-père Hérode Antipas et, conseillée par sa mère Hérodiade, obtient de lui la tête de son prisonnier, le prophète Jean-Baptiste.

L’Evangile selon Matthieu décrit ainsi l’événement: « Car Hérode, qui avait fait arrêter Jean, l’avait lié et mis en prison, à cause d’Hérodias, femme de Philippe, son frère, parce que Jean lui disait : « Il ne t’est pas permis de l’avoir pour femme. » Il voulait le faire mourir, mais il craignait la foule, parce qu’elle regardait Jean comme un prophète. Or, lorsqu’on célébra l’anniversaire de la naissance d’Hérode, la fille d’Hérodias dansa au milieu des convives, et plut à Hérode, de sorte qu’il promit avec serment de lui donner ce qu’elle demanderait. À l’instigation de sa mère, elle dit : « Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean-Baptiste. » Le roi fut attristé ; mais, à cause de ses serments et des convives, il commanda qu’on la lui donne, et il envoya décapiter Jean dans la prison. Sa tête fut apportée sur un plat, et donnée à la jeune fille, qui la porta à sa mère. »

Jean Baptiste est le prophète qui a annoncé la venue de Jésus et l’a baptisé sur les bords du Jourdain. Il a été emprisonné par le roi Hérode Antipas pour avoir dénoncé le mariage de ce dernier avec Hérodiade, l’épouse de son frère Philippe et mère de Salomé.

Salomé et Hérodiade se vengèrent de Jean-Baptiste en demandant sa tête à Hérode Antipas. L’épisode a inspiré de nombreux peintres dont nous donnons trois exemples.

 

 

L’histoire de Guillaume Tell peinte en façade

Ernen/Valais/Suisse, Tellenhaus

Exceptionnellement, nous présentons ci-après une série de peintures hors du cadre ecclésiastique. Il s’agit de peintures à caractère historique, qui reflètent l’histoire d’un héros légendaire devenu mythe fondateur de la Suisse.

Guillaume Tell, paysan d’Uri, ayant refusé de saluer le chapeau du tyran Gessler, fut condamné à tirer sur une pomme posée sur la tête de son fils au moyen de son arbalète. Il réussit cet exploit mais fut arrêté par Gessler auquel il avait avoué qu’en cas d’échec, il aurait tué le tyran.

Conduit en prison, Tell réussit à s’enfuir et attendit le passage de Gessler dans un chemin creux voisin pour le tuer.

Au XVIe siècle, lors de la Réforme protestante, la commune haut-valaisanne d’Ernen, opposée à la nouvelle foi, se retira de l’alliance des sept dizains valaisans et s’allia à la Suisse centrale, restée catholique.

En 1578, en l’honneur d’une délégation suisse rendant visite à Ernen, les autorités municipales décidèrent de faire peindre trois épisodes de l’histoire de Guillaume Tell sur la façade d’une maison qui avait été construite deux ans auparavant.

Cosimo Nocera est historien et guide du Musée national de Bangkok. Il a vécu et travaillé en Italie, Suisse et en Amérique andine (Pérou, Equateur et Bolivie). Après un long séjour en Asie du Sud-Est, il vit actuellement en Suisse française.

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