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Peintures médiévales d’églises : curiosités/2Le catéchisme sur les murs, introduction/10

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Les peintures des murs d’églises

Les peintures murales sont le centre d’intérêt de notre série d’articles « Le catéchisme sur les murs » ; plus précisément, nous nous intéressons aux peintures médiévales, sur une période allant dans les grandes lignes de la chute de l’Empire romain d’Occident (conventionnellement située au moment de l’abdication de l’empereur Romulus Augustulus, le 4 septembre 476) à la fin de l’Empire romain d’Orient (située au moment de la chute de Constantinople en 1453). 

La présente suite d’articles introductifs sert de mise en contexte à cette série, qui s’attache à montrer, souvent sous la forme d’articles thématiques ou historiques, quelques églises suisses, italiennes et françaises possédant des peintures murales médiévales.

Articles introductifs

1. Le christianisme et l’art. Pour ou contre l’image ? La Bible des pauvres 

2. Les Morts et les Vivants 

3. Les Saints : Saint Christophe, le Christ du Dimanche

4. Le Jugement Dernier, l’Enfer, la Gueule d’enfer, le Diable 

5. Le Purgatoire, le Paradis, les Anges

6. Thèmes liés à Marie : Notre Dame de la Miséricorde; Annonciation

7. Les Saints : Saint Nicolas de Flüe

8. La Trinité

9. Peintures médiévales d’églises : curiosités 1

10. Peintures médiévales d’églises : curiosités 2

11. Peintures anciennes d’églises

12. Plafonds peints d’églises médiévales

13. Les Saints : Saint Georges, Saint Michel

14. Les Saints : Saint Sébastien, Saint Martin

15. Les Saints : Saint Pierre, Saint Laurent

16. Livre de la Genèse : création du monde, Adam et Eve, Noé et le Déluge, Caïn et Abel; Vices et Vertus

 

En parcourant les églises pourvues de peintures médiévales, on voit ci et là apparaître des curiosités qui sortent des thèmes habituels que l’on peut rencontrer dans ces lieux sacrés.

Nous présentons ci-après quelques unes de ces curiosités.

 

Les âges de la vie

Chironico/Tessin/Suisse, église Sant’Ambrogio 

Depuis l’Antiquité, il est de coutume de subdiviser la vie humaine en plusieurs périodes.

A partir de Pythagore (580-495 avJC) les âges sont au nombre de quatre et cette conception est reprise par Galien (II-III siècle), puis par Philippe de Novare (1200-1270), auteur de «Des quatre âges de l’homme» : enfance, adolescence, maturité, vieillesse.

Chez certains auteurs de l’Antiquité classique les âges n’étaient que trois : jeunesse, âge adulte, vieillesse.

St Isidore de Séville (VI-VIIe siècle) distingue six âges, St Augustin (IIIe siècle) et Montaigne (1580) en distinguent sept.

L’auteur inconnu des peintures de Chironico (XIVe siècle) a opté pour une subdivision en cinq âges mais y a ajouté la fin de la vie.

La caractéristique de ces cycles de vie consiste à présenter un protagoniste masculin qui en traverse toutes les phases et un personnage féminin qui reste presque inchangé et ne cesse de pointer l’homme avec son index. Il s’agit d’une figure allégorique identifiable à la Grâce divine.

 

Saisons, activités diverses

Dans de nombreuses églises, outre les peintures à thèmes religieux, on rencontre des peintures à caractère profane représentant les saisons, l’artisanat ou les travaux agricoles, souvent classés par mois (été : récoltes ; automne : vendanges, etc.).

 

Châtillon-la-Palud/Ain/France, église St Irénée

 

Ronco sopra Ascona/Tessin/Suisse, église San Martino di Tours

 

Campione d’Italia/Como/Italie, église Santa Maria dei Ghirli

 

Villadossola/Verbano-Cusio-Ossola/Italie, église Santa Maria Assunta 

 

Armeno/Novare/Italie, artisans au travail, église Santa Maria Assunta

 

Breil-Brigels/Grisons, Suisse, chapelle Sogn Sievi

 

Ascona/Tessin, Suisse, NS della Misericordia

 

Palagnedra/Tessin, San Michele

 

La fable du Renard et de la Cigogne

Razèn/Rhäzüns/Grisons/Suisse, église Sogn Gieri

Cette église présente une peinture d’après une fable de Jean de La Fontaine, s’inspirant de Plutarque, Esope et Phèdre. Il s’agit de la fable morale du Renard et de la Cigogne, qui dit ceci :

Un Renard pria à souper une Cigogne à qui il servit de la bouillie sur une assiette, mets qu’elle ne put manger avec son bec. La Cigogne ne se fâcha point et peu de temps après, elle pria le Renard à dîner. Elle lui servit un hachis de viandes qu’elle renferma dans une bouteille. A son tour, le Renard ne put manger ce mets. La Cigogne lui dit alors avec un rire moqueur :  » Tu ne peux pas te plaindre de moi car je t’ai traité comme tu m’as traitée. « 

Curieusement, la Fable est peinte en deux parties flanquant une représentation de l’Annonciation.

 

Animaux exotiques dans la chambre du châtelain

Château de Chillon/Veytaux/Suisse

Il ne s’agit pas à proprement parler d’un lieu de culte, mais la chambre du châtelain se trouve à proximité de sa chapelle. Aussi nous vous proposons cette curiosité consistant en un bestiaire réalisé en 1314 par le peintre Jean de Grandson, pour le comte Aymon de Savoie, seigneur de Chillon, sur les parois et le plafond de la camera domini, .

Le bestiaire est peint sur une prairie, sur un fond bleu parsemé de fleurs de lys ; la plupart des animaux auraient pu faire partie d’une ménagerie princière de l’époque. Il s’agit d’équidés, d’un cerf, d’un lion, d’un léopard, de deux ours, de chevreuils, d’une gazelle et d’un chameau. Seuls, les ours, les équidés et les chevreuils sont des animaux présents dans la région, les autres étant des animaux exotiques. Il y a aussi deux animaux fantastiques, le dragon et le griffon. Sur la hotte de la cheminée, on reconnaît St Georges terrassant le dragon.

 

 

Ie le weil, la devise du seigneur local inscrite sur les parois

Ressudens/Vaud/Suisse, église protestante, anciennement Notre-Dame

Certains seigneurs faisaient inscrire leur devise sur les parois de l’église de leur seigneurie. C’est le cas du noble Guillaume de Grandson (….-1428). La famille de Grandson tenait son nom du château de Grandson, dans le Pays de Vaud. Son influence dans la région est attestée depuis le XIe siècle et la famille, liée aux princes de Savoie, joua un rôle majeur jusqu’à la fin du XIVe siècle.

En 1376, Guillaume de Grandson créa, dans l’église de Ressudens, située dans sa seigneurie de Grandcour, une chapelle dédiée à St-Georges. C’est à cette occasion qu’il fit décorer les parois du chœur de la devise «Ie le weil»(Je le veux) et de ses armoiries.

 

Musique angélique, musique diabolique

A ses origines, l’église avait une position restrictive à propos de la musique, identifiée à l’héritage payen ; le culte devait être avant tout liturgique. Plus tard, au Moyen-Age, l’Eglise surveille de près la musique à l’église, qui ne doit pas distraire de la prière et devenir une fin en soi. L’usage de la polyphonie qui se répand à partir du XIIe siècle, permet de diversifier la musique sacrée, jusque là cantonnée pour l’essentiel au chant grégorien.

Dans les peintures d’églises moyenâgeuses un motif qui revient fréquemment est la musique exécutée par les Anges et les Diables.

Dès le XIIIe siècle, les instruments de musique avaient été divisés en deux catégories : les «bas instruments», produisant un son de faible volume favorisant l’élévation spirituelle (harpe, psaltérion, luth, orgue, vielle à archet, flûte à bec, cloches, cymbales, viole de gambe, divers instruments à cordes, claviers) et les «hauts instruments», à la forte puissance sonore (cornemuse, chalemie, cor, hautbois, trompettes, buisines et tambours) évoquant l’enfer, les charivaris, carnavals ou manifestations publiques ou, a contrario, dans certains cas, la gloire divine s’incarnant dans le Christ pantocrator.

Un Ange musicien est un ange jouant d’un instrument de musique ; on le rencontre en solitaire ou en duo, parfois sous forme d’un orchestre autour de figures saintes ou  divines.. 

La scénographie picturale de l’ange débute dès le haut Moyen Âge sous la forme de mosaïques byzantines représentant des anges ailés, entourant le Christ ou la Vierge; toutefois ce n’est qu’aux XII-XIIIes siècles et surtout à partir du XIVe siècle que se sont diffusés en peinture les Anges musiciens. 

Le premier instrument qui apparaîtra entre leurs mains est la buisine (XIIe siècle), qui est un haut instrument, car les Anges sont aussi ceux de l’Apocalypse et du Jugement Dernier, porte-voix des décisions divines, qui accompagnent la voix de l’Eternel. 

Les Anges musiciens seront fortement liés au culte de Marie : sur beaucoup de mosaïques et peintures des XIIIe et XIVe siècles on voit la Vierge entourée d’Anges : Vierge à l’enfant, Couronnement de la Vierge, Assomption, Nativité.

La figure du Christ (Jugement dernier, Christ en Gloire) et celle de Dieu le Père s’agrémentent aussi d’Anges musiciens.

Un pas est franchi au XVIe siècle, avec le décor à fresque des coupoles d’église où apparaissent de véritables orchestres d’anges pourvus de tous les instruments.

La représentation des Anges musiciens est une tendance de l’Eglise occidentale, qui fleurit pendant la période gothique et atteint son apogée au XVsiècle. Au XVIe siècle le Concile de Trente critique fortement cette intrusion des instruments profanes dans la représentation du Ciel et préconise de les réduire ; toutefois, la Renaissance, surtout en Italie, continue à exploiter le thème.

Quant à lui, le Diable utilise traditionnellement le pouvoir de la musique et de la danse pour séduire et dominer les âmes humaines.

Dans les peintures d’églises, surtout aux XV-XVIes, la terreur suscitée par les guerres et les épidémies de peste s’exprime à travers des textes et images d’orchestres et danses macabres, ou danses des morts, et l’accompagnement en musique des âmes damnées en enfer. C’est en accompagnement de ces danses que s’exprime la musique diabolique ; les musiciens sont, soit des squelettes instrumentistes, soit des figures diaboliques.

Des sarabandes de damnés de toutes conditions sociales sont entraînées en enfer par des démons, ou par la Mort elle-même qui prend très souvent la forme d’un squelette instrumentiste conduisant la procession des pécheurs avec sa musique. Ces représentations rappellent à ceux qui n’obéissent pas aux lois divines la menace d’une fin apocalyptique, loin du paradis offert aux humains qui auront mené une vie terrestre conforme aux principes de la religion.

 

 

Le profane dans un espace sacré

Orbe/Vaud/Suisse,Eglise Notre-Dame

L’église fut édifiée en 1408, sur l’emplacement d’une ancienne chapelle, après un incendie qui avait détruit la ville d’Orbe en 1407. Un nouvel incendie eut lieu lors des guerres de Bourgogne (1474-77) qui opposèrent les Suisses au duc de Bourgogne. L’église fut reconstruite, mais elle passa au culte protestant en 1554.

Elle contient une série de personnages profanes fixés aux voûtes dont certaines étonnent dans un édifice religieux. Ils ont vraisemblablement été créés au XVe siècle.

 

Les péripéties des fresques de Montcherand

Eglises de Montcherand et Donatyre/Vaud/Suisse

L’église de Montcherand a été construite au Xe siècle. Dépendant du prieuré voisin de Baulmes, elle a été donnée au XIe siècle au monastère clunisien de Payerne, relevant ainsi de Cluny. Au XIe ou XIIe siècle, l’abside de l’église a été dotée d’une grande fresque représentant un personnage divin en mandorle entouré des Evangélistes, au-dessus d’une rangée d’Apôtres.

Lors de l’avènement du protestantisme iconoclaste au XVIe siècle cette fresque a été chaulée et est tombée successivement dans l’oubli. Par la suite, la fresque cachée a été abîmée par l’ouverture d’une fenêtre dans l’abside tout en ayant subi les injures du temps.

L’église fut restaurée en 1902 et à cette occasion on redécouvrit la fresque, incomplète (cf. photo 1).

La décision ayant été prise de la restaurer, le restaurateur décida de compléter les parties manquantes : il reconstitua ainsi d’un trait rouge les figures d’apôtres manquantes, les trois Evangélistes manquants; quant à  la figure centrale manquante de la conque absidiale il y dessina un Christ en majesté (photo 2).

Cette reconstitution resta en place jusqu’en 1969 ; à cette date les autorités décidèrent qu’une nouvelle reconstitution s’imposait qui se termina en 1971. A l’issue de ces travaux, la fresque se retrouva dans l’état antérieur, une partie des apôtres, trois Evangélistes, ainsi que la figure en mandorle ayant disparu (cf. photo 3). Vraisemblablement, ces travaux furent exécutés selon la lettre de la nouvelle école minimaliste issue de la Charte de Venise de 1964, qui recommandait les restaurations archéologiques, sans l’apport d’ajouts esthétiques.

La nouvelle restauration n’était toutefois pas du goût des paroissiens, qui réclamèrent un changement. Ce n’est qu’en 1988 que les autorités municipales décidèrent de demander un complément de restauration. Après un long trajet administratif, celui-ci débuta en 1991 et dura une année. Les apôtres manquants furent redessinés par un trait léger, le personnage central prit la figure de Jésus, la mandorle fut restaurée, mais sans figure centrale, et les Evangélistes, à l’exception de St Luc, préexistant, ne réapparurent plus.

La fresque se présente aujourd’hui dans l’état visible sur la photo 4 .

Curieusement, en 1907 la fresque de Montcherand inspira un peintre chargé de décorer l’église de Donatyre, également située dans le canton de Vaud. Ses peintures sont une copie de celles de Montcherand : toutefois, elles ne correspondent pas entièrement au modèle. En effet, le peintre y a fait figurer tous les Apôtres, mettant au centre l’apôtre Pierre. Il a également reproduit la mandorle en y plaçant un Christ bénissant entouré des quatre Evangélistes. Sa fresque apocryphe est toujours en place et figure dans la photo 5.

Ce qui précède illustre bien les péripéties d’une fresque originale du XI-XIIe siècle à travers le temps.

N.B. La source principale des informations est la brochure de Pierre Ramelet, L’énigme des peintures murales de l’église de Montcherand, 2002

Cosimo Nocera est historien et guide du Musée national de Bangkok. Il a vécu et travaillé en Italie, Suisse et en Amérique andine (Pérou, Equateur et Bolivie). Après un long séjour en Asie du Sud-Est, il vit actuellement en Suisse française.

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