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La Trinité dans ses diverses représentationsLe catéchisme sur les murs, introduction/8
Les peintures des murs d’églises
Les peintures murales sont le centre d’intérêt de notre série d’articles « Le catéchisme sur les murs » ; plus précisément, nous nous intéressons aux peintures médiévales, sur une période allant dans les grandes lignes de la chute de l’Empire romain d’Occident (conventionnellement située au moment de l’abdication de l’empereur Romulus Augustulus, le 4 septembre 476) à la fin de l’Empire romain d’Orient (située au moment de la chute de Constantinople en 1453).
La présente suite d’articles introductifs sert de mise en contexte à cette série, qui s’attache à montrer, souvent sous la forme d’articles thématiques ou historiques, quelques églises suisses, italiennes et françaises possédant des peintures murales médiévales.
Articles introductifs:
1. Le christianisme et l’art. Pour ou contre l’image ? La Bible des pauvres
2. Les Morts et les Vivants
3. Saint Christophe, le Christ du Dimanche
4. Le Jugement Dernier, l’Enfer, la Gueule d’enfer, le Diable
5. Le Purgatoire, le Paradis, les Anges
6. Thèmes liés à Marie : Notre Dame de la Miséricorde; Annonciation
7. Les Saints : Saint Nicolas de Flüe
8. La Trinité
La Trinité
Selon le Larousse, dans la théologie chrétienne, la Trinité désigne Dieu en trois personnes (Père, Fils et Saint-Esprit) distinctes, égales et consubstantielles en une seule et indivisible nature.
L’Église a retrouvé les racines de cette doctrine dite trinitaire dans l’Ancien Testament, dans l’épisode de la rencontre d’Abraham avec trois personnes divines, où il est dit que «L’Éternel apparut à Abraham parmi les chênes de Mamré, alors qu’il était assis à l’entrée de sa tente pendant la chaleur du jour. Il leva les yeux et vit trois hommes debout non loin de lui. Quand il les vit, il courut depuis l’entrée de sa tente à leur rencontre et se prosterna jusqu’à terre. Il dit : « Seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe pas loin de ton serviteur. » (Genèse 18.20-21)
La formulation du dogme trinitaire a donné lieu, dans les premiers siècles de l’Église chrétienne, à de longs débats dans les Conciles, notamment ceux de Nicée I et Constantinople I.
Au concile de Nicée I, en 325, fut définie la divinité de Jésus-Christ, réfutée par les adeptes d’Arius. Au concile de Constantinople I, en 381, fut définie aussi la divinité du Saint-Esprit. Ces deux conciles proclamèrent la tri-unité de Dieu.
D’autres conciles, entre le IVe et le XVe siècle, confirmeront plus tard ces déclarations.
Depuis le XIVe siècle, sous le pontificat du pape d’Avignon Jean XII, le dogme de la Trinité a donné lieu à une célébration religieuse. Toutes les religions chrétiennes, quoique sous des formes différentes, reconnaissent la Trinité.
Les chrétiens ne sont pas seuls à connaître les trinités. On connaît des œuvres d’art des religions nordiques qui reprennent ce thème, ainsi que des représentations des civilisations de l’Antiquité grecque et romaine.
Quant aux religions orientales, les Indiens ont pareillement les trois principaux personnages de la Trimurti (Brahma, Vishnou et Shiva) figurant dans le texte sacré vishnouïte Baghavad Purana. On trouve des représentations divines à plusieurs visages dans ce texte. Des peintures ornant des temples bouddhiques en Thaïlande présentent des personnages divins à quatre têtes (p.ex. Quadrivultus de Phetchaburi). Par leur présentation iconographique ces oeuvres rappellent la Trinité chrétienne: en réalité, elles contiennent un message différent qui n’a de commun avec la Trinité que l’unité de plusieurs éléments en un.
Les représentations de la Trinité dans l’art chrétien sont nombreuses et variées. Elles se sont heurtées au double problème de la représentation matérielle d’un être spirituel et invisible et de la légitimité de cette représentation. Rappelons que le judaïsme et l’islam interdisent les représentation figuratives de la divinité.
Tout au long des trois premiers siècles de l’ère chrétienne, les images de Dieu ont été pratiquement inconnues, mais elles voient progressivement le jour à partir du IVe siècle, même si elles restent rares jusqu’au VIIIe siècle. Les débats passionnés autour de ce qui deviendra un dogme n’encouragèrent pas les artistes d’alors à se lancer dans le thème de la Trinité. On en trouve toutefois des représentations dans des mosaïques et des sarcophages.
Les experts distinguent trois grandes périodes dans le développement de l’art pictural trinitaire jusqu’à la fin du Moyen-Age.
D’abord, entre le IVe et la fin du VIIIe, une période d’évocation rare et indirecte de la Trinité. Ensuite, à partir du IXe et jusqu’au XIIe une période qui aboutit à la création des principaux types iconographiques de la Trinité. Enfin, dès le XIIIe et jusqu’au début du XVe, une période d’épanouissement, où se diffusent et se différencient les formules picturales et qui débouche sur une grande créativité.
C’est autour du XIIe siècle que se constituent les principaux types iconographiques de la Trinité dont certains connaîtront une existence stable. Citons les cinq formules iconographiques durables : le Trône de Grâce ; la Trinité du Psautier ; la Paternité ; la Trinité triandrique et la Trinité trivultus.
Entre les XIIIe et XVe ces images se multiplient et se différencient.
De la fin du XIVe jusqu’au début du XVe apparaît une phase artistique très créative où surgissent de nouveaux motifs et genres iconographiques (Trinité souffrante, Trinité en gloire). La Compassion du Père qui tient le Christ descendu de la croix aux aisselles ou l’ayant sur les genoux apparaît dès le XVe ; le Couronnement de la Vierge par la Trinité apparaît vers la fin du XIVe.
Revenons aux cinq principaux types iconographiques :
Le Trône de Grâce représente Dieu le Père généralement assis, parfois debout, tenant le Christ en croix entre ses genoux tandis qu’une colombe, troisième symbole, se trouve dans une position variable. Ce type caractérise l’art chrétien d’Occident ; il est à peu près inconnu de l’art chrétien d’Orient. Il est d’origine biblique : thronum gratiae apparaît dans l’Épître aux Hébreux dans sa version latine. Au Moyen Âge l’expression a servi à désigner le sacrement de la pénitence.
La Trinité du Psautier montre le Père et le Fils assis sur un même trône, avec entre eux la colombe. Ce type est aussi d’origine biblique (Nouveau Testament).
La Paternité est inspirée d’un verset du Prologue de l’évangile de St Jean. Attesté en Occident et en Orient , ce type montre le Père siégeant et portant le Christ descendu de la croix devant sa poitrine ou sur ses genoux.
La Trinité triandrique montre trois personnes sous forme humaine, rangées côte à côte. D’abord, elles sont figurées identiques, comme des triplés (p. ex. Hortus deliciarum). Plus tard, on verra les personnes former un groupe plus étroitement uni, ce qui conduira aussi à les différencier par leurs attributs et/ou par leurs âges.
La Trinité Trivultus, apparue au XIIIe siècle, représente la Trinité figurée par un être humain ayant, au-dessus d’un tronc unique, trois têtes ou une tête à trois visages. Cette représentation, considérée comme monstrueuse et en tant que telle blasphématoire, a été formellement interdite par le Pape Urbain VIII en 1628; toutefois, elle s’est maintenue jusqu’à nos jours.
Iconographie
Représentations orientales de divinités à plusieurs visages
1750 image selon la Trimurti indienne représentant Brahma, Vishnou et Shiva
Cette trinité figure dans le texte lithurgique vishnouïte Bhagavata Purana. Les trois dieux, en principe de force égale, reflètent les trois aspects de la puissance divine : création, préservation, destruction. Le premier, Brahma, est représenté avec quatre visages.
XVIII peinture murale dans un temple bouddhiste (Phetchaburi/Thaïlande, temple Wat Ko Kaeo Suttharam)
Le dieu Phrom (Brahma, en thaïlandais) y est muni de quatre visages : le quatrième, sur l’arrière, n’est pas visible. Chaque visage exprime une qualité du dieu : bienveillance, compassion, gentillesse et équanimité.
Période évocatoire
547 Ravenna Basilica San Vitale
Cette mosaïque fait partie d’un ensemble de décorations de facture byzantine de la période justinienne (VIe siècle) ; elle représente Abraham recevant la visite des Trois Anges et le sacrifice qu’il s’apprête à faire de son fils Isaac.
La suite de trois personnages identiques la classe parmi les trinités triandriques.
Période exploratoire
1159-1175 Hortus deliciarum
L‘Hortus deliciarum est une encylopédie manuscrite chrétienne réalisée entre 1159 et 1175 par Herrade de Landsberg, abbesse du monastère de Hohenbourg/Vosges, l’original a été détruit en 1870 pendant l’incendie de la bibliothèque de Strasbourg. Rédigée en latin, il s’agit de la première encyclopédie écrite par une femme. L’image de miniature qui suit résulte d’une copie réalisée d’après l’original.
Il s’agit également d’une trinité triandrique.
Trinités de type Thrône de Grâce
1200 Payerne/Vaud, Abbatiale
Cette église contient une trinité de type Thrône de Grâce d’auteur inconnu
1200 Spiez/Berne, église du Château
Cette église appartenait à l’origine à la famille patricienne von Erlach
1290 Como, église San Fedele
La représentation du Thrône de Grâce se situe dans un ensemble de peintures réalisées vers la fin du XIIIe siècle
1320 Unterkulm/Argovie, église paroissiale
Une fresque de type Thrône de Grâce est entourée de trois évangélistes
1330 Vuorz/Waltensburg/Grisons, église réformée
Un peintre connu sous le pseudonyme de «Maître de Waltensburg» y a peint une fresque de Thrône de Grâce
1425-26 Firenze, Santa Maria Novella
Cette classique Trinité Thrône de Grâce a été peinte en style Renaissance par Tommaso di Giovanni Cassai dit Masaccio
1427 Montecarasso/Curzutt/Tessin, église San Bernardo
De nombreuses oeuvres dues à l’école des Seregnesi ornent cette église ; la Trinité Thrône de Grace a été peinte par Cristoforo da Seregno
1443 Abbaye de Hauterive/Fribourg
L’Abbaye cistercienne de Hauterive abrite une trinité Thrône de Grâce de peintre inconnu
1490 Momo/Italie, église de la Santissima Trinità
On y trouve une trinité Thrône de Grâce peinte par l’atelier des Cagnola, de Novare
1495 Ascona/Tessin, église Madonna della Misericordia
Martino da Varese y a peint une classique trinité Thrône de Grâce
1540 Arbedo/Tessin, église de San Paolo
Peinte par Nicolao da Seregno, on y trouve une représentation trinitaire Thrône de Grâce
Peintures de type Paternité
1419 Missel à l’usage de la paroisse de Langres
Cet ouvrage en parchemin contient des lettres ornées dont l’une représente une trinité de type Paternité
1511 Douai, rétable d’Anchin (Musée de la Chartreuse)
Ce rétable est dû à Jean Bellegambe qui l’a peint à la demande de l’abbé Charles Coguin pour l’abbaye d’Achin de Pecquencourt
Trinités du type Psautier
1503-08 Grandes Heures d’Anne de Bretagne, œuvre de Jean Bourdichon (Bibl. Nat. De France)
L’ouvrage commandé par la reine Anne de Bretagne contient une trinité du Psautier
1620 Anvers, église Sint Jacob
Trinité du Psautier peinte par Hendrik van Balen.
Trinités liées à un autre thème religieux
1400 Bâle, église de St Pierre
Cette trinité de type Trivultus surmonte une Annonciation
1440-60 Retable de Boulbon, anonyme, Ecole de Provence (Musée du Louvre)
Cet ouvrage, commandé pour l’église Saint Agricol en Avignon par le chanoine Jean de Montagnac, représente un Christ de douleur debout dans le tombeau, Saint Agricol lui présentant un donateur
1452-60 Livre d’heures d’Etienne Chevalier peint par Jean Fouquet (Musée Condé, Chantilly)
Ce manuscrit contient une trinité Triandrique montrant le Couronnement de la Vierge
1453-54 Villeneuve lès Avignon
Le peintre Enguerrand Quarton a peint cette œuvre à la demande de la Chartreuse Notre-Dame-du-Val-de-Bénédiction/Gard ; elle représente un Couronnement de la Vierge par une Trinité de type Psautier
1700 Bodio-Cauco/Grisons, ossuaire
Cette trinité de Psautier a été peinte par l’artiste itinérant Johann Jacob Riegg. Elle surmonte un Jugement universel.
Trinités triandriques
1300 San Vittore/Grisons, chapelle de San Lucio
Contient une fresque de trinité triandrique.
1400 Villadossola/Italie, église San Bartolomeo
Dans cette église récemment restaurée on a découvert une peinture de trinité triandrique
1460 Muralto/Tessin, collégiale de San Vittore
La tour de la collégiale porte un haut-relief réalisé par Martino Benzoni représentant St Vittore Mauro à cheval ; au-dessus figure une trinité de type triandrique se limitant toutefois à trois têtes.
Trinités Trivultus
1478 Giornico/Tessin, église San Nicolao
Une représentation trinitaire de type Trivultus a été peinte par Nicolao da Seregno.
1570 Tulebras/Espagne, monastère Santisima Maria de la Caridad
Dans cet ancien monastère cistercien se trouve une trinité Trivultus peinte en 1570 par Jeronimo Vallejo Cosida. La figure à trois faces tient un triangle de foi selon St Athanase appelé Scutum Fidei (Bouclier de la Foi) qui représente le dogme du Dieu un et Trin.
Dans une église de Barcelone figure cette classique Trinité Trivultus peinte au XVIIe siècle par un auteur inconnu.
1680 Trinté Trivultus avec Scutum Fidei (Museo colonial, Bogotà)
Autrefois déposée dans la cathédrale de Sante Fé de Bogotà, cette peinture de Gregorio Vasquez de Arce représente une trinité triface avec le symbole du dogme.
Trinités récentes
1862 Caen, Abbaye aux Dames
Le tympan du portail principal présente une sculpture de la Trinité triandrique créée par Adolphe Geoffroy-Dechaume. Cette œuvre d’art a été contestée par l’évêque de Bayeux qui en a demandé la destruction ; c’est la Commission des monument historiques, présidée par Viollet-le-Duc, qui en a décidé le maintien.
1915 Lausanne, église protestante St Jean de Cour
Le peintre Louis Rivier y a réalisé une classique Trinité Thrône de Grâce
1925 Semsales/Fribourg, nouvelle église St Nicolas (1925-26)
Peinte par l’ancien cubiste converti Gino Severini, la Trinité triandrique de Semsales fait partie des œuvres religieuses du Groupe de St Luc. La peinture , considérée comme «hérétique», a été dénoncée en 1928 aux autorités vaticanes qui en ont ordonné la destruction ; ce n’est qu’à l’intervention de la hiérarchie ecclésiastique locale que l’oeuvre a pu être conservée.
1956 Châtel-Guyon/Puy-de-Dôme, église St Anne
Dans cette localité thermale auvergnate, en 1956 le peintre d’icônes Nicolas Greschny a réalisé une Trinité du Psautier d’inspiration byzantine.
Icônes russes
1379-1400 Icône Zyrianskaïa (Musée d’art de Vologda)
Cette icône de style byzantin, réalisée par St Etienne de Perm, représente la scène trinitaire des chênes de Mambré ou l’hospitalité d’Abraham.
1400 Icône «La Paternité», Novgorod (Galerie Tretiakov, Moscou)
Plus ancienne représentation du type Paternité dans l’art russe, cette icône d’auteur inconnu s’inspire du Nouveau Testament.
1410-27 Icône trinitaire «L’hospitalité d’Abraham» (Galerie Tretiakov, Moscou)
Le peintre Andrej Roubliev reprend le thème traité par St Etienne de Perm.
Le Scutum Fidei ou Bouclier de la Foi
La Trinité est illustrée au cours du Moyen-Age sous la forme d’un symbole dit Scutum Fidei ou Bouclier de la Foi. Sous la forme d’un triangle équilatéral il reprend la première partie de la confession de foi chrétienne de l’évêque d’Alexandrie Athanase (328-373). Il illustre de façon simple, à l’intention des fidèles, la doctrine trinitaire du Dieu unique en trois personnes.
La notion de Scutum Fidei est mentionée dans le Nouveau Testament (Epitre de Saint Paul aux Ephésiens) : « Prenez par-dessus tout cela le bouclier de la foi, avec lequel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du malin».
Le Scutum Fidei proprement dit est attesté pour la première fois en 1210, dans un manuscrit de Pierre de Poitiers, le Compendium Historiæ in Genealogia Christi. Il deviendra toujours plus populaire et se retrouvera dans des illustrations de chevalerie, p.ex. dans la Summa Vitiorum de Guillaume Peyraut, où un chevalier symbolique, protégé par le Scutum Fidei, s’apprête à combattre les sept péchés capitaux.