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Le Lan Na, royaume du Nord, histoire/2Brève histoire du Royaume

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Situé au Nord de la Thaïlande, au XV/XVIe siècle, lors de sa plus grande extension, le royaume du Lan Na s’étendait au-delà des frontières de la Thaïlande actuelle et englobait Chiang Tung, Mueang Nai, Mueang Yong (Myanmar, Etats Shan), Chiang Rung (Chine, Yunnan) et Luang Prabang (Laos).

Deux pôles de pouvoir ont toujours déterminé l’histoire du Royaume : Chiang Rai/Chiang Saen au Nord (terre d’origine des Taï Yuan, fondateurs du Royaume) et Chiang Mai au Sud (capitale créée par le roi Mengrai en 1296).

Actuellement, le Lan Na comprend les provinces thaïlandaises de Chiang Mai, Chiang Rai, Lamphun, Lampang, Nan, Phrae, Phayao et Mae Hong Son.

Le royaume du Lan Na est présenté en plusieurs articles traitant, le premier, de quelques clés pour comprendre son histoire, le deuxième, d’une brève histoire du Royaume, le troisième, de l’art du Lan Na. D’autres articles traiteront des temples bouddhistes du royaume, groupés par provinces.


Brève histoire du royaume du Lan Na

Le développement historique du Lan Na commença dans les plaines des fleuves Kok et Ing au Nord-Est (avec les mueang de Chiang Rai et Phayao) et les plaines des fleuves Ping et Wang au Sud-Ouest de la Thaïlande (avec les mueang de Chiang Mai, Lamphun et Lampang). Au Sud-Est, les plaines des fleuves Yom et Nan favorisèrent l’apparition d’Etats particuliers, Phrae et Nan, qui intégrèrent par la suite le Royaume.

Le Royaume du Lan Na dut sa formation à la réunion d’un groupe de seigneuries et de cités-Etats en un Etat unique, sous l’autorité d’un mueang dominant; c’est la conquête de l’Etat lua/môn de Hariphunchai par le roi Mengrai, en 1292, ainsi que la fondation, en 1296, d’une capitale, Chiang Mai, qui marquèrent la naissance du Royaume du Lan Na.

Hariphunchai

Premier Etat né en Thaïlande du Nord, dans la vallée du Haut-Ping, la principauté lua/môn de Hariphunchai (aujourd’hui Lamphun) faisait partie de la culture Dvaravati. Une légende raconte qu’à la demande de l’ermite Vasuthep, un prince môn de Lavo (de nos jours Lopburi) aurait fondé la ville au VIIe ou VIIIe siècle.

Ses habitants pratiquaient le bouddhisme theravada.

Hariphunchai était un comptoir commercial sur la route entre la Chine et les golfes de Siam et Martaban. Situé au bord du fleuve navigable Ping, cet important relais commercial Nord-Sud était la source de richesse du royaume.

Immigration des Taï Yuan ou Yonok

On suppose que les Taï Yuan ou Yonok quittèrent le Szechuan chinois entre le VIIe et le IVe s. avJC; ils s’établirent d’abord au Sipsong Panna, dans le Yunnan, mais à partir du XIe s. apJC les sources historiques attestent leur présence dans le Nord de la Thaïlande. Leur migration vers le Sud s’étendit sur plusieurs siècles.

Rôle joué par le déclin de Srivijaya

La migration des Tai Yuan est attribuée à l’affaiblissement du royaume de Srivijaya, qui détenait alors le monopole du commerce maritime. Le déclin de cette thalassocrathie, dont le centre se situait à Sumatra, mais qui contrôlait aussi des Etats vassaux dans la péninsule malaise, commença vers l’an 1050 apJC; il eut pour effet la création d’un nouveau réseau commercial entre le Yunnan et la région du fleuve Salawin en Birmanie.

Dès le XIIe siècle, des vaisseaux chinois commencèrent à commercer directement avec les ports situés sur la Mer de Chine méridionale, sans passer par Srivijaya. Ces ports s’enrichirent et créèrent de la richesse dans l’arrière-pays, avec lequel ils entretenaient d’étroites relations commerciales.

De nouvelles entités politiques virent ainsi le jour, par exemple, en 1220, le premier royaume siamois, Sukhothai.

Premier royaume taï yuan

La chronique de Chiang Mai, attribue l’unification des Taï Yuan au XIIe siècle à la figure légendaire du roi Khun Chuan, qui fonda Phayao dans la plaine du fleuve Ing. Plus tard, il créa le royaume de Ngoen Yang dans la région de la future ville de Chiang Saen.

A sa mort, en 1151, le royaume se désagrégea mais ses descendants de la dynastie lao continuèrent à régner à Ngoen Yang; une autre lignée s’établit à Phayao.

Renforcement de l’Etat des Taï Yuan par le roi Mengrai

En 1259, Mengrai, de la dynastie lao, fut couronné roi de Ngoen Yang; comme son ancêtre légendaire, il entreprit d’unifier les Taï Yuan en conquérant peu à peu les petites principautés de la vallée du Kok. Plus tard, il se dirigea vers le Nord, à Chiang Tung, où il soumit les Taï Lua; en 1263, craignant une invasion mongole, il fonda la ville fortifiée de Chiang Rai sur le fleuve Ing. Vers 1268, il fortifia la ville de Fang dans la haute vallée du Kok et prépara, à partir de cette base, l’attaque du royaume môn de Hariphunchai.

Le pacte des trois rois

Au préalable, en 1287 un traité avait été conclu par les trois rois taï Mengrai, de Chiang Rai, Phaya Kham Hoeng, de Phayao et Ruang de Sukhotai (qui plus tard changea son nom en Ram Kham Haeng). C’était un pacte dirigé contre les Mongols qui menaçaient la stabilité de la région, mais il avait aussi pour but de laisser les mains libres à Mengrai, pour lui permettre d’annexer Hariphunchai, située dans sa sphère d’influence.

Conquête de Hariphunchai et fondation du Royaume

Mengrai profita du déclin de Srivijaya pour annexer le royaume de Hariphunchai et son commerce :

il conquit l’Etat môn en 1292, puis fonda Chiang Mai en 1296, dans la plaine alluviale du Ping. Située entre les vallées du Kok et du Ping, cette ville nouvelle servit de point de contrôle de la région et de relais pour les relations commerciales Nord-Sud. Les avantages de la fondation de Chiang Mai furent multiples : cette place fortifiée contrôlait la route commerciale allant du Haut-Maekong à la plaine du Chao Phraya (Siam central), elle n’était pas sujette aux inondations, disposait d’importantes sources en eau potable des montagnes du Doi Suthep et était entourée par une grande région fertile produisant beaucoup de riz.

Le nouvel Etat issu de la conquête de Hariphunchai et de la fondation de Chiang Mai se trouvait à cheval sur la ligne de partage des eaux Nord-Sud, entre les deux capitales de Chiang Rai au Nord et Chiang Mai au Sud; il constitua le noyau du Royaume du Lan Na.

Créée selon des principes cosmologiques qui en firent symboliquement le centre de l’Univers, dès le début Chiang Mai assuma le rôle de capitale politique, économique, sociale et culturelle du nouveau royaume du Lan Na. La fusion des cultures lua/môn de Hariphunchai, taï yuan des conquérants et celles des autres groupes ethniques présents sur le territoire produisirent une nouvelle culture syncrétique.

Vers le XIVe s., les Taï Yuan animistes se convertirent au bouddhisme theravada. Hariphunchai/Lamphun devint le centre bouddhiste le plus important du Lan Na.

Politiquement, le Lan Na était une fédération de mueang basée sur les loyautés personnelles de ses seigneurs envers Mengrai. Chiang Rai conservait une position importante et état gouvernée par le prince héritier Chai Songkham.

Mise en place et organisation du royaume

A la mort de Mengrai, en 1311, le Lan Na se scinda en deux centres de pouvoir, Chiang Mai et Chiang Rai : au cours de l’histoire, ce cas de figure devait se reproduire à plusieurs reprises. Vers 1328, le roi Saen Phu de Chiang Mai fonda la ville de Chiang Saen sur les bord du Maekong, prétendument dans le but de protéger la frontière nord contre d’éventuelles attaques des Mongols. En réalité, cette ville nouvelle devait remplacer Chiang Rai comme centre régional de pouvoir. Toutefois, vers 1340, le roi Pha Yu restaura Chiang Mai comme capitale et ville principale du Lan Na.

En 1369, le fils de Pha Yu, Kue Na, demanda au moine Sumanathera de Sukhothai de fonder un nouvel ordre monastique sur le modèle des ordres du Sri Lanka (Lankavamsa), alors centre du bouddhisme theravada. Le moine commença par s’établir dans une forêt près de Lamphun, puis, en 1373, il se rendit à Chiang Mai où il fonda le temple Wat Suan Dok. La généralisation du nouveau rite mis en place par Sumanathera conféra au Lan Na une forte identité religieuse qui ne le quitta jamais.

Le roi Tilokarat et l’ « Âge d’or » (1441-1489)

En 1441, le roi Tilokarat monta sur le trône du Lan Na. Son règne débuta par des guerres contre Ayutthaya, deuxième royaume siamois et successeur de Sukhothai, et le Vietnam; un traité de paix fut signé en 1475 avec Ayutthaya et en 1480, le Vietnam fut défait par les Laotiens avec l’aide du Lan Na. Tilokarat conquît aussi les seigneuries de Nan et Phrae.

Ces événements firent du Lan Na un important centre commercial qui importait du métal et de la soie tout en exportant du sel et du bois. Les relations entre le Lan Na et la Chine étaient très fortes : au XVIe s., Ralph Finch, un marchand anglais qui visita Chiang Mai, ainsi que le Jésuite portugais Nicolo Pimenta, témoignèrent de la prospérité des marchés du Lan Na et de la présence d’un grand nombre de marchands chinois dans le pays.

Tilokarat réussit à réunir dans sa personne à la fois le pouvoir religieux et politique et à assumer, selon la loi bouddhiste, les rôles d’un souverain universel (chakravartin) et impartial (dhammaraja).

En 1477 se tint à Chiang Mai le 8e Concile bouddhiste dont le but était le renouvellement du Tripitaka ou Canon pâli (textes religieux bouddhistes).

Cette période, appelée « Âge d’or« , représenta l’apogée du Lan Na, mais ce n’est que sous l’arrière-petit-fils de Tilokarat, Mueang Kaeo (1495-1526) que la littérature classique du Lan Na atteignit son sommet.

Le déclin (1515-1558)

A partir de 1507, le Lan Na se trouva pris dans de nouveaux conflits avec les Siamois d’Ayutthaya; après avoir conquis Phrae en 1508 et pillé Lamphang en 1515, les Siamois réussirent à atteindre l’hégémonie stratégique par rapport au Lan Na. C’est à cette période que les armes à feu et l’artillerie firent leur apparition massive sur les champs de bataille, le Lan Na étant approvisionné par la Chine, Ayutthaya par les Portugais.

La paix avec Ayutthaya fut signée en 1522, mais une année plus tard, le Lan Na se trouva engagé dans les guerres de Chiang Tung, au Nord, qui lui causèrent beaucoup de pertes humaines.

Confronté à une frontière Sud affaiblie et à une importante chute démographique, le Lan Na glissa peu à peu dans le déclin. Ce tableau négatif fut encore assombri par des catastrophes naturelles comme les inondations et les épidémies.

Entre 1526 et 1545, des conflits de succession débouchèrent sur une période d’anarchie et de chaos. Les rois se suivirent l’un l’autre et ne gouvernèrent que pendant une courte période; tous finirent assassinés, exécutés ou forcés de quitter le pouvoir. En 1546, le trône fut offert au roi de Lan Xang (Laos), Phra Sethathirat, qui préféra retourner dans son pays après un règne qui ne dura que deux ans. Les trois années successives (1548-1551) furent appelées « Le Grand Chaos » à cause d’une guerre civile qui causa beaucoup de détresse dans la population.

Conquête et gouvernement birmans, première période (1558-1581)

Entre-temps, le roi de Birmanie, Bayin-naung, avait commencé les préparatifs pour fonder son propre royaume bouddhiste; pour ce faire, il devait d’abord soumettre ses voisins de l’Est et de l’Ouest. Il conquit Chiang Mai en 1558 et le reste du Lan Na dans l’espace de quelques mois.

Cette rapide défaite du Lan Na peut s’expliquer par le désordre politique, mais aussi par un certain nombre d’autres facteurs; la prédation des ressources naturelles, la déforestation, la diminution des ressources en eau potable, la moindre productivité des rizières et les problèmes économiques qui s’ensuivirent : inflation, dévaluation du kauri, etc. En occultant la situation économique précaire du pays, les extravagantes dépenses improductives de l’Âge d’or furent partiellement responsables de la rapide défaite.

Pendant la première période d’occupation birmane, leur domination resta relativement douce. Le roi Mae Ku fut maintenu sur le trône jusqu’en 1564; il fut suivi par une princesse de la dynastie de Mengrai, assistée toutefois par un responsable birman. Les coutumes et pratiques locales furent maintenues et la société continua de vivre comme avant la conquête. Les mueang locaux maintinrent leurs structures de base, mais ils étaient tous soumis à l’impôt et au tribut, ainsi qu’à l’obligation de fournir au vainqueur une assistance militaire et logistique.

Sur le plan politique, la renaissance des cités-Etats fit régresser le Royaume à son point de départ : Nan, Phrae, Lampang, Phayao et d’autres villes proclamèrent leur indépendance.

Conquête et gouvernement birmans, seconde période (1581-1775)

Comme Tilokarat l’avait fait avant lui, le roi birman en vint aussi à se proclamer roi universel (chakravartin), ce qui le contraignit à se battre contre ses concurrents Ayutthaya et Lan Xang. En conséquence, les Birmans demandèrent aux Taï Yuan de leur fournir une croissante assistance militaire et tributaire, tout en augmentant les livraisons de main-d’oeuvre.

Toutefois, face à un pouvoir birman affaibli par les guerres, l’opposition du Lan Na contre la domination étrangère s’accrut et amena nobles, moines et paysans à s’unir.

En 1589, les Siamois, entrés en guerre contre les Birmans, conquirent Chiang Mai et sans tarder, toute la région devint un champ de bataille où se confrontèrent les armées birmanes, siamoises et laotiennes. Entre 1605 et 1615, le roi birman Tharlun réussit à reconquérir le Lan Na; à partir de là, les gouverneurs de mueang furent nommés par les Birmans qui introduisirent la politique du divide et impera.

Pendant les années suivantes, le Lan Na fut libéré et reconquis à plusieurs reprises, mais il y eut un changement en 1767, lorsque les Birmans conquirent et détruisirent Ayutthaya, la capitale siamoise.

Une année plus tard, un commandant militaire siamois, Taksin, réussit à chasser les Birmans d’Ayutthaya et à rétablir le royaume du Siam, dont la capitale fut transférée à Thonburi. Peu après, Taksin fut couronné roi du Siam.

Fin de la domination birmane et vassalisation du Lan Na par le Siam (1775-1874)

La montée de Taksin sonna le glas de la domination birmane au Lan Na. En 1774, Kawila, fils du seigneur de Lampang, s’allia à Taksin : avec l’aide de l’armée siamoise, commandée par le général Phraya Chakri (futur Rama Ier), il conquît Chiang Mai et libéra le Lan Na. En 1782, Rama Ier, qui avait pris la place de Taksin sur le trône du Siam, nomma Kawila roi de Chiang Mai.

Au sortir de cette longue période de guerres et troubles politiques, le Lan Na était sérieusement affaibli, aussi bien sous l’angle militaire qu’au point de vue démographique. De plus, le danger birman n’avait pas entièrement disparu. C’est pour ces raisons que le seigneur du Lan Na décida de se mettre sous la protection du Siam.

Pour le Siam, l’avantage de cet accord consistait dans la protection de sa frontière septentrionale contre de nouvelles attaques birmanes. Mais l’accord fit du Lan Na un vassal du Siam : cette relation de subordination fut officialisée en 1802, lorsque Kawila se rendit à Bangkok, la nouvelle capitale siamoise, où Rama Ier le nomma roi d’Etat vassal.

De retour à Chiang Mai, Kawila réorganisa son royaume déchu en mettant en oeuvre un programme de repeuplement à long terme sous le slogan « Remplir les paniers de légumes et les mueang d’habitants« .

Sous le roi Putthawong (1826-1846), le Lan Na connut un second « Âge d’or »; après leur défaite lors de la première guerre anglo-birmane, les Birmans ne pouvaient plus être considérés comme une menace, l’économie se portait bien et le nombre d’habitants était en augmentation.

Perte progressive de souvenaineté et intégration au Siam (1874-1939)

L’année 1874 marque le début de la fin du Lan Na comme Etat vassal, mais souverain. Le roi du Siam, Rama V (Chulalongkorn), avait signé avec les Anglais un traité qui forçait le Siam à marquer et surveiller sa frontière avec la Birmanie, devenue une colonie britannique. Entre-temps, l’idéologie européenne de l’Etat-nation était devenue impérative également pour les quelques Etats du Sud-Est asiatique encore restés indépendants.

Contraint d’appliquer le traité, le Siam commença par envoyer à Chiang Mai un haut-commissaire. Quelque temps plus tard, le Gouvernement siamois se substitua au Gouvernement local : en 1884, le Siam s’attribua les Finances et la Justice du Lan Na, puis il installa son propre cabinet, parallèle à l’administration traditionnelle du Lan Na.

En 1899/1900, le Lan Na et les royaumes de Phrae et Nan furent intégrés au Siam au moyen d’une réforme administrative qui créa le « District du Nord-Est« , comprenant tous les mueang qui avaient fait partie du royaume du Lan Na.
Sans soutien de la part d’autres pouvoirs, incapable de survivre dans un contexte international dominé par les puissances coloniales européennes, le Lan Na disparut en tant que nation et se retrouva transformé en neuf districts siamois.

Son dernier roi, Chaya Kaenowarat (1911-1939), ne détint qu’un pouvoir formel et mourut sans successeur.

Malgré sa disparition en tant qu’Etat souverain depuis plus d’un siècle, le Lan Na conserve encore de nous jours une identité forte, qui se manifeste dans des domaines aussi divers que la politique, les arts ou la gastronomie.


Cosimo Nocera est historien et guide du Musée national de Bangkok. Il a vécu et travaillé en Italie, Suisse et en Amérique andine (Pérou, Equateur et Bolivie). Après un long séjour en Asie du Sud-Est, il vit actuellement en Suisse française.

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